Page:Shelley - Œuvres poétiques complètes, t1, 1885, trad. Rabbe.djvu/93

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majesté de la terre, la joie, l’exultation ? Ses yeux pâlis regardent la scène vide aussi vaguement que la lune de l’océan regarde la lune dans le ciel. L’esprit du doux amour humain a envoyé une vision à son sommeil, à lui qui méprisait ses plus précieux dons ! Il poursuit ardemment au-delà des royaumes du rêve cette ombre fugitive : il franchit toutes les bornes. Hélas ! Hélas ! Où sont ces membres, cette respiration, cet être si traîtreusement unis ? Perdue, perdue, pour toujours perdue dans l’immense et insensible désert de l’obscur sommeil, cette forme si belle ! La noire porte de la mort conduit-elle à ton mystérieux paradis, ô Sommeil ? L’arche brillante des nuages irisés et les montagnes pendantes qu’on aperçoit dans le calme lac ne conduisent-elles qu’à un abîme noir et liquide, tandis que la voûte bleue de la mort, avec ses immondes vapeurs suspendues, où toute ombre exhalée de l’infect tombeau cache son œil mort loin du jour détesté, conduit, ô Sommeil, à tes délicieux royaumes ? Ce doute, comme une soudaine marée, envahissait son cœur ; l’insatiable espérance qui l’avait éveillé blessait son cerveau avec la violence du désespoir.

Tant que la lumière du jour remplit le ciel, le poète tint une conférence secrète avec son âme. Avec la nuit vint la passion, comme le démon furieux de quelque rêve désordonné, qui le réveilla en sursaut et le força de s’enfuir dans les ténèbres. — Comme un aigle, étreint dans les replis d’un vert serpent, sent le poison brûler sa poitrine, et à travers la nuit et le jour, la tempête et le calme et le nuage, dans la frénésie de sa douleur éperdue, précipite son vol aveugle sur le vaste désert de l’air ; ainsi entraîné par la brillante ombre de ce rêve