Page:Shelley - Œuvres poétiques complètes, t1, 1885, trad. Rabbe.djvu/94

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adoré, sous la lueur glacée de la nuit désolée, à travers le labyrinthe des marécages et le gouffre des profondes vallées, faisant tressaillir de son pas insouciant le serpent éclairé par la lune, il fuyait !…

Le rouge matin commençait à poindre sur sa fuite, versant la moquerie de ses couleurs vitales sur sa joue de mort. Il erra jusqu’au vaste Aornos qu’on aperçoit de l’escarpement de Petra, suspendu comme un nuage sur le bas horizon ; jusqu’à Balk, et aux lieux où les tombes désolées des rois parthes éparpillent à tout vent leur poussière épuisante ; là il errait en sauvage, jour après jour, consumant les heures dans l’ennui, portant dans sa poitrine le souci rongeur qui se nourrit sans fin de sa flamme expirante. Et maintenant ses membres étaient maigres ; sa chevelure flottante, flétrie par l’automne d’une étrange souffrance, chantait dans le vent des chants de mort ; sa main insouciante pendait comme un os mort dans sa peau desséchée ; la vie et l’ardeur qui le consumaient, comme dans une fournaise qui brûle en secret, ne rayonnaient plus que de ses yeux noirs. Les villageois, qui subvenaient avec une humaine charité à ses humains besoins, regardaient avec un étonnement mêlé de terreur respectueuse ce visiteur qui fuyait. L’habitant de la montagne, qui rencontrait sur quelque vertigineux précipice cette forme de spectre, s’imaginait que l’esprit du vent, avec ses yeux d’éclair, sa respiration enflammée et ses pas qui ne dérangent pas la neige amoncelée, se reposait en ce lieu. L’enfant voulait cacher son visage troublé dans la robe de sa mère, effrayé par l’éclat de ces yeux sauvages, pour se souvenir de cette étrange lumière dans maint rêve de l’avenir. Mais les jeunes vierges, instruites par la nature, s’expli-