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L’ÉDUCATION DE L’ŒIL

empêtrés dans leurs recherches, ils ne peuvent exprimer librement leurs sensations, dit-on.

Répondons que le moindre tisserand oriental en sait autant qu’eux. Ces notions qu’on leur reproche ne sont guère compliquées. Les néo-impressionnistes ne sont pas trop savants. Mais ne pas connaître les lois du contraste et de l’harmonie, c’est être trop ignorant.

Pourquoi donc la possession de ces règles de beauté annulerait-elle leurs sensations ? Un musicien, parce qu’il sait que le rapport 3/2 est un rapport d’harmonie, et un peintre, parce qu’il n’ignore pas que l’orangé forme avec le vert et le violet une combinaison ternaire, en sont-ils moins des artistes susceptibles d’être émus et capables de nous émouvoir ? Théophile Silvestre l’a dit : « Ce savoir presque mathématique, au lieu de refroidir les œuvres, en augmente la justesse et la solidité. »

Les néo-impressionnistes ne sont pas esclaves de la science. Ils la manient au gré de leur inspiration : ils mettent ce qu’ils savent au service de ce qu’ils veulent. Peut-on reprocher à de jeunes peintres de ne pas avoir négligé cette partie essentielle de leur art ? quand on voit qu’un génie comme Delacroix a dû s’astreindre à cette étude des lois de la couleur et y a pu trouver profit, ainsi que le reconnaît Charles Blanc en cette note :

« C’est pour avoir connu ces lois, pour les avoir étudiées à fond, après les avoir par intuition devinées, qu’Eugène Delacroix a été un des plus grands coloristes des temps modernes. »