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Chroniques du Temps passé.

veillant, au-dessus de ces têtes dévotieusement courbées, son nez démesurément long et son menton en branle où trois poils follets dansaient sans répit, tandis qu’un sourire qui ressemblait, par la grâce, à l’entre-bâillement de l’huis d’une prison, entr’ouvrait sa bouche où une seule dent tremblait au moindre courant d’air. Et elle tendait sa main ridée, pareille à un de ces petits paquets de sarments dont les pauvres gens allument leur feu dans la campagne, aux lèvres balbutiantes de tous ces adorateurs transis.

Le plus humble et le plus empressé était un certain comte d’Italie nommé Cucufa, qui tenait une grande place dans ses bonnes grâces pour ses talents musicaux. Ce Cucufa n’avait pas son semblable dans l’humanité tout entière pour chanter, en s’accompagnant sur trois cordes au plus, les rondels et virelais qu’il composait lui-même et dans lesquels Madame Marie d’Anjou était comparée aux plus aimables choses de la nature, depuis le lis dont l’orgueil triomphe dans nos jardins, jusqu’à la rose qui en est le charme parfumé, depuis l’étoile qui illumine la nuit de ses mille flèches d’argent, jusqu’à la source qui ouvre son œil d’enfant dans les verdures profondes. Et le vieux mâtin lui débitait sans rire toutes ces