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Chroniques du Temps passé.

du revers de son épée et s’écrie : Ego nominor leo !

Mais ce sont hautes visées politiques dont tu n’as que faire. Car un soldat ne se doit occuper que d’obéir à ses chefs. Ne va donc pas t’aviser de juger les menées du Roi très chrétien que tu vas servir, suivant les lumières natives et acquises de ton intellect, et contente-toi de lui demeurer fidèle, non pas parce qu’il vaut mieux que le duc son ennemi, mais parce que tu lui auras juré fidélité, comme tu aurais d’ailleurs aussi bien pu la jurer à l’autre. Car là tout est primé par la question de priorité. Remémore-toi bien, en effet, mon doux Tristan, qu’il n’est guère de cause qui soit absolument bonne ni absolument mauvaise, la nature des choses d’ici-bas étant d’être un mélange de bien et de mal. Mais il n’en faut pas moins servir la cause qu’on a embrassée avec autant d’ardeur et de jalousie que si elle était parfaite. Car rien n’est, au monde, aussi odieux que de se montrer renégat en combattant ce qu’on a autrefois servi. Et vais-je jusqu’à dire que l’homme qui s’aperçoit qu’il s’est longtemps trompé sur la justice de sa cause se doit arrêter, mais non pas reculer en arrière pour aller s’atteler à la contraire. Erreur loyale ne mérite pas ce châtiment de faire