Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, I.djvu/137

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nus, et on en trouve fréquemment des indications dans les historiens et dans les autres écrivains. Il faut donc en général nous contenter de ces prix, non pas comme étant toujours exactement dans les mêmes proportions que les prix courants du travail, mais comme étant l’approximation la meilleure que l’on puisse obtenir communément pour trouver à peu près ces proportions. J’aurai occasion par la suite de faire quelques comparaisons et rapprochements de ce genre[1].

Les nations commerçantes, à mesure que leur industrie a fait des progrès, ont trouvé utile de frapper en monnaie plusieurs métaux différents : de l’or pour les gros payements, de l’argent pour les achats de valeur moyenne, et du cuivre ou quelque autre métal grossier pour ceux de la plus petite importance. Cependant, elles ont toujours regardé un de ces métaux comme étant plus particulièrement la mesure des valeurs qu’aucun des deux autres, et il paraît qu’en général elles ont donné cette préférence au métal qui leur avait le premier servi d’instrument de commerce. Ayant commencé une fois à prendre ce métal pour mesure, comme il fallait bien le faire quand elles n’avaient pas d’autre monnaie, elles ont généralement continué cet usage, lors même qu’il n’y avait plus de nécessité.

On dit que les Romains n’ont eu que de la monnaie de cuivre jusques environ cinq ans avant la première guerre punique[2], époque à laquelle ils commencèrent à frapper leurs premières monnaies en argent. Aussi, le cuivre paraît toujours avoir continué à servir de mesure de valeur dans cette république. On voit à Rome tous les comptes exprimés et tous les biens évalués en as ou en sesterces. L’as fut toujours la dénomination d’une monnaie de cuivre ; le mot de sesterce veut dire deux as et demi. Ainsi, quoique le sesterce fût toujours une monnaie d’argent, cependant cette monnaie était évaluée sur la monnaie de cuivre. À Rome, on disait d’un homme qui avait beaucoup de dettes qu’il avait une grande quantité de cuivre appartenant à autrui.

Il paraît que les peuples du Nord qui s’établirent sur les ruines de l’Empire romain ont eu de la monnaie d’argent dès le commencement de leur établissement, et que plusieurs siècles se sont écoulés avant qu’ils connussent de monnaies ni d’or ni de cuivre[3]. Il y avait en Angleterre

  1. Principalement dans le chapitre xi de ce livre.
  2. Pline, livre XXXIII, chap. iii.
  3. Du moment que l’argent fut introduit, le motif d’épargner reçut une force jusque-là inconnue. Comme le numéraire représente toutes les autres richesses, et que l’argent est le numéraire du monde commerçant, on n’a qu’à amasser de l’argent pour se procurer toutes les différentes espèces de richesses qui existent dans le monde ; et comme l’argent est en même temps la plus inaltérable de toutes les richesses et la plus facile à conserver, il présente encore le moyen le plus facile pour accumuler. Ainsi l’or et l’argent étant devenus numéraire, ont procuré ce grand avantage à la société, de fournir non-seulement le motif le plus puissant, mais encore le moyen le plus propre à capitaliser les plus petites économies comme les plus grandes. Une autre circonstance contribua encore à renforcer le motif d’épargner ; ce fut le prêt à intérêt, rendu possible par le numéraire. Avant l’introduction de l’argent dans le commerce, les prêts devaient se réduire à fort peu de chose. Celui qui ne pouvait pas employer lui-même son capital, ou qui en avait plus qu’il ne pouvait employer, rencontrait infiniment de difficultés s’il voulait le louer ou prêter. Il ne lui suffisait pas de trouver des emprunteurs, il lui fallait des emprunteurs pour sa denrée. D’ailleurs comme la denrée se prêtait en nature, elle devait être rendue en nature : et vous sentez bien quelle source de contestations et de pertes cette circonstance devait être dans tous les cas où la denrée ne pouvait pas être restituée identiquement, ou lorsqu’elle était sujette à perdre de sa valeur par l’usage. Ces inconvénients devaient extrêmement borner les prêts et les emprunts, et par conséquent ôter l’envie d’économiser et d’accumuler à tous ceux qui n’étaient pas dans la situation d’employer eux-mêmes leurs capitaux.
    Mais du moment que l’argent fut introduit comme numéraire, toutes ces difficultés cessèrent sur-le-champ ; car l’argent rend les mêmes services aux prêts qu’il rend aux échanges ; les prêteurs n’ont plus besoin de chercher les emprunteurs qui veulent de telle denrée ; chaque capitaliste peut aider chaque emprunteur et chaque emprunteur trouve ce qu’il cherche chez chaque capitaliste. D’ailleurs, point de contestation sur la valeur du prêt ; c’est la mesure même de toutes les valeurs qui se prêtent. Dès lors les économies se sont multipliées et ont donné naissance à une foule de capitaux, qui n’eussent jamais existé sans cette facilité de prêter : et mille entreprises sont devenues possibles, auxquelles on n’eût jamais pensé sans cette facilité d’emprunter.Storch.