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LE PETIT MONSIEUR

Le samedi, André Servan arriva vers six heures du soir, frais, rose et mis comme un monsieur de la ville. La mère en eut un éblouissement. Elle courut à lui et l’embrassa sur les deux joues. Non moins glorieux, mais plus calme, le père se contenta de lui serrer énergiquement la main. Yvonne, accourue de la cuisine, toute rose d’émotion, allait tendre ses joues au jeune homme, comme elle en avait l’habitude à chacune de ses visites, mais cette fois André lui tendit la main avec un tel parti pris de froideur et de cérémonie, qu’elle s’arrêta net, toute saisie.

— Mais embrassez-vous donc ! En v’là des manières ! s’écria Servan. Comme si vous étiez des inconnus l’un pour l’autre… Des enfants qui ont été élevés ensemble. Embrassez-vous tout d’suite !

André se mit à rire et courut à Yvonne qui se dérobait déjà.

— Comment donc ! mais je ne demande pas mieux ! s’écria-t-il. « Allons, viens embrasser ton grand frère ! dit-il plus bas à la jeune fille en lui coupant la retraite. À ce terme de grand frère, Yvonne s’arrêta, baissa les yeux, se laissa embrasser, pâle et froide, puis s’en alla lentement vers la cuisine attenante. Les deux vieillards se regardèrent avec surprise, inquiets, ne comprenant rien à ce qui se passait.