Page:Sophocle, trad. Leconte de Lisle, 1877.djvu/37

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d’une nef, lamentable récompense de mon âme ! Et maintenant, nous sommes deux à attendre sur un même lit les embrassements d’un seul ! C’est ainsi que Hèraklès, qu’on disait doux et fidèle pour moi, me récompense d’avoir gardé si longtemps sa demeure ! Cependant je ne puis m’irriter contre celui qui a subi tant de fois un tel mal ; mais aucune femme ne supporterait d’habiter la même demeure qu’une autre, en l’admettant au partage d’une même union. Je vois que la fleur de la jeunesse croît en elle et se flétrit en moi. L’homme aime à regarder et à cueillir l’une et se détourne de l’autre. Je crains donc que Hèraklès n’ait que le nom de mon époux pour être l’amant de cette jeune fille. Mais, ainsi que je l’ai dit, il ne convient point qu’une femme irréprochable s’irrite. Je vous dirai, chères, comment j’agirai pour mon bien. Je possède, enfermé dans un vase d’airain, un ancien présent d’un vieux Centaure. Je l’ai reçu, étant jeune fille, de Nessos dont la poitrine était très-velue. Il transportait dans ses bras, à prix d’argent, les hommes à travers le profond fleuve Évènos, fendant l’eau sans avirons ni voiles. Quand, par l’ordre de mon père, je suivis pour la première fois Hèraklès mon époux, Nessos, qui m’avait prise sur ses épaules, arrivé au milieu du fleuve, commença à me caresser de ses mains perverses. Mais je criai, et, aussitôt, l’Enfant de Zeus, s’étant retourné, lui lança une flèche ailée qui pénétra avec un sifflement, à travers la poitrine, jusqu’au poumon. Et le Centaure mourant me parla ainsi : — Fille du vieux Oineus, si tu m’obéis, tu tireras un grand bien de ce que je t’aurai transportée la dernière. En effet, si tu recueilles le sang figé autour de cet endroit de la blessure où le venin de l’Hydre de Lernaia a noirci la flèche, tu posséderas un charme puissant sur l’âme de Hèraklès