Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/348

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Je vous connois bien, moi, dit Francion ; votre renommée est épandue assez loin. Pour moi, l’on m’appelle Francion, marquis de la Parte ; je suis de vos plus proches parens, je m’en vais vous dire par quelle façon. Là-dessus il lui bâtit une généalogie suivant celle que l’on lui avoit décrite ; et, quoique l’autre y remarquât de la fausseté, il se persuada qu’elle étoit véritable, tant il étoit aise de ce qu’un marquis, qui avoit un train fort honorable, se disoit son cousin de son mouvement propre, espérant que cela serviroit à prouver sa noblesse contre les médisans. Après avoir témoigné à Francion, par ses paroles, combien sa connoissance lui apportoit de contentement et d’honneur, la première courtoisie dont il usa fut de lui dire : Vous n’êtes jamais venu en ce pays-ci, ni vos serviteurs non plus : je m’imagine que vous ne sçavez pas où c’est que l’on peut loger ? il leur faut enseigner une taverne où ils se pourront retirer eux et leurs chevaux ; mon homme s’en va les y conduire. Francion, voyant déjà que du Buisson avoit envie de jouer d’un trait de sa chicheté ordinaire, se résolut de l’en empêcher, et lui dit : J’ai toujours affaire de mes valets, mon cousin, il ne faut pas qu’ils s’éloignent de moi, je leur défends bien ; pour ce qui est de mes chevaux, on ne les laissera pas seuls en une hôtellerie, et si je vous assure qu’ils sont si las qu’ils n’ont pas assez de vigueur pour aller jusque-là. Ainsi Francion para ce premier coup. Vous ferez ici un très-mauvais souper, lui dit le sieur du Buisson lorsque ses gens mettoient sur la table une éclanche de brebis et quelques salades : ce n’est là que mon ordinaire : je n’ai pas été averti de votre venue comme je devois être, afin de faire apprêter quelque chose de meilleur : qui pis est, ma femme est malade au lit, et n’y a qu’elle céans qui entende la cuisine et qui y mette les mains. Que l’on ne se hâte point tant, de grâce, dit Francion, l’on ne perdra rien pour attendre : je vous donne tout le loisir que vous voudrez pour faire apprêter ce qu’il vous plaira. Au reste, si vous avez de la viande plus délicate que celle que l’on a apportée, je vous supplie d’en faire servir, car je n’en sçaurois manger. D’autre part, j’ai vu votre paillier[1] en passant, il est des mieux garnis de la France. Si je ne sçavois que vous êtes extrêmement

  1. Basse-cour.