Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/112

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la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire, car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur. » C’était, en fait, déjà le cas de plusieurs des gouvernements de l’Europe, du gouvernement français, par exemple, et c’est pourquoi Montesquieu qualifiait ces gouvernements de modérés.

Montesquieu n’avait point inventé ce système. Aristote l’avait présenté avant lui ; mais personne ne l’avait exposé sous une forme aussi simple et aussi évidente. Montesquieu le fit passer de la théorie dans la pratique et le rendit populaire. Il n’avait vu appliquer l’ensemble de ces règles qu’en Angleterre, et c’est l’Angleterre qu’il décrit lorsqu’il veut présenter l’exemple d’une nation « qui a pour objet direct de sa constitution la liberté politique ».

Il ne fait pas l’histoire de cette constitution, et il n’effleure le problème des origines que pour renouveler, dans l'Esprit des lois, un paradoxe des Lettres persanes qu’il affectionnait fort. « Si l’on veut lire l’admirable ouvrage de Tacite sur les Mœurs des Germains, on verra que c’est d’eux que les Anglais ont tiré l’idée de leur gouvernement politique. Ce beau système a été trouvé dans les bois. » Montesquieu se piquait de descendre de ces Goths qui, « conquérant l’empire romain, fondèrent partout la monarchie et la liberté ». Il avait ses raisons d’état pour chercher dans Tacite les éléments de la constitution