Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/90

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sur certains points, une concentration excessive de la lumière et un jeu continuel de lentilles convergentes. Mme du Deffand, pour faire un bon mot, et Voltaire, par jalousie de métier, lui ont reproché d’avoir mis trop d’esprit dans son livre. Il en a mis pour tous les auteurs qui avaient écrit avant lui sur le droit public, et pour la plupart de ceux qui en ont écrit après. S’il avait besoin d’une excuse, la postérité s’accommoderait de celle-là.

Reconnaissons-le, toutefois : s’il y a infiniment d’art, un art exquis, dans l'Esprit des lois, il y a aussi de l’artifice. Montesquieu s’y crut obligé pour amadouer la censure, dérouter la Sorbonne et obtenir que son livre circulât en France sans inconvénient pour son repos. Il lui répugnait d’être réduit, comme pour les Lettres persanes, à ne point avouer son ouvrage. Il tenait à en avoir publiquement l’honneur, faisant œuvre de moraliste et non plus de satirique. À la licence et à l’irrévérence de sa jeunesse avaient succédé le ton respectueux d’un homme qui prend la vie au sérieux et se donne la tâche d’instruire l’humanité. Ce n’est pas qu’il ne lui restât une pointe de libertinage. Elle perce çà et là, dans les digressions notamment, et lorsque le plan du livre ramène l’auteur aux pays d’Orient et aux mœurs de la polygamie. Ce ne sont plus que des épisodes, et, pour s’y arrêter avec quelque indulgence, Montesquieu ne s’y arrête plus longtemps. Mais, si l’impiété a disparu, la vénération exclusive n’est pas venue. Montesquieu traite des religions avec