Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/89

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plus de succès dans les conseils de conciliation, qu’ils ne se laisseraient pas éblouir par les belles paroles aussi facilement que les délégués des ouvriers[1].

Lorsque tout est fini, il ne manque pas d’ouvriers pour se rappeler que les patrons avaient d’abord affirmé que toute concession était impossible : ils sont amenés ainsi à se dire que ceux-ci sont des ignorants ou des menteurs ; ce ne sont pas des conséquences capables de beaucoup développer la paix sociale !

Tant que les travailleurs avaient subi les exigences patronales sans protester, ils avaient cru que la volonté de leurs maîtres était complètement dominée par les nécessités économiques ; ils s’aperçoivent, après la grève, que cette nécessité n’existe point d’une manière bien rigoureuse et que, si une pression énergique est exercée par en bas sur la volonté du maître, cette volonté trouve moyen de se libérer des prétendues entraves de l’économie ; ainsi (en se tenant dans les limites de la pratique) le capitalisme apparaît aux ouvriers comme étant « libre », et ils raisonnent comme s’il l’était tout à fait. Ce qui restreint à leurs yeux cette liberté, ce n’est pas la nécessité issue de la concurrence, mais l’ignorance des chefs d’industrie. Ainsi s’introduit la notion de l’« infinité de la production », qui est un des postulats de la théorie

  1. La loi française du 27 décembre 1892 semble avoir prévu cette possibilité et elle ordonne que les délégués des comités de conciliation doivent être pris parmi les intéressés ; elle écarte ainsi ces professionnels dont la présence rendrait si précaire le prestige des autorités ou des philanthropes.