Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/90

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de la lutte de classe dans le socialisme de Marx[1].

Pourquoi donc parler de devoir social ? Le devoir se comprend dans une société dont toutes les parties sont étroitement solidaires les unes des autres ; mais si le capitalisme est infini, la solidarité n’est plus fondée sur l’économie et les ouvriers estiment qu’ils seraient dupes s’ils n’exigeaient pas tout ce qu’ils peuvent obtenir ; ils considèrent le patron comme un adversaire avec lequel on traite après une guerre. Il n’y a pas plus de devoir social qu’il n’y a de devoir international.

Ces idées-là sont un peu confuses, je le veux bien, dans beaucoup de cerveaux ; mais elles existent d’une manière beaucoup plus stable que ne le pensent les partisans de la paix sociale ; ceux-ci se laissent prendre aux apparences et ne descendent pas jusqu’aux racines obscures qui supportent les tendances socialistes actuelles.

Avant de passer à d’autres considérations, il faut observer que nos pays latins présentent une grande difficulté pour la formation de la paix sociale ; les classes y sont bien plus nettement séparées que dans les pays saxons par des caractères extérieurs ; de telles séparations gênent beaucoup les chefs des syndicats quand ils abandonnent leurs anciennes manières pour prendre rang dans le monde officiel ou philanthropique[2] : ce monde les

  1. G. Sorel, Insegnamenti sociali, p. 390, texte français dans le Mouvement socialiste, 1er juillet 1905, p. 290.
  2. Toutes les personnes qui oui vu de près les chefs des trade-unions sont frappées de l’extrême différence qui existe entre la France et l’Angleterre à ce point de vue : les chefs des trade-unions deviennent rapidement des gentlemen sans