Page:Soupé - Études sur la littérature sanscrite.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Karna, une seconde fois outragé, laisse échapper l’arc de ses mains ; les princes de Tchêdi, de Magadha, de Madra échouent également et cèdent la place : c’est alors que paraît Ardjouna, sous un costume de novice, lui si beau et si brave, lui qui résume à peu près les types d’Achille et d’Hector. À sa vue, les brahmanes s’agitent sur les peaux d’antilopes qui leur servent de sièges ; ils poussent des cris d’allégresse ; ils se consultent entre eux : quelques-uns doutent et s’inquiètent. Ce jeune homme ignoré semble appartenir à leur caste ; il va les représenter dans la lice : pourvu que son honneur réponde à son audace, pourvu qu’il ne les compromette pas par sa présomption et qu’il ne les livre point tous à la risée publique ! Mais non ; il vaincra, et sa renommée rejaillira sur eux. On reconnaît là, à travers les siècles, la prudence consommée, l’esprit de corps et la solidarité de vues qui ont toujours caractérisé les classes sacerdotales ; on voit aussi que ce sont les prêtres qui tiennent ici la plume d’après les éloges qu’ils prodiguent à leur noble représentant. Écoutez-les :

Il l’emportera ; s’il était incapable de réussir, il ne se présenterait pas ; il n’existe point au monde une œuvre, quelle qu’elle soit, qui puisse être au-dessus des forces d’un brahmane, même quand les autres mortels y ont renoncé. Se privant de nourriture, ne se nourrissant que d’air, recueillant les fruits de leurs austérités, liés par des vœux sévères, les brahmanes les plus faibles ont par leur propre éclat une puissance formidable. Qu’ils pratiquent le bien ou le mal, qu’ils accomplissent des actes grands ou petits, fâcheux ou agréables, jamais ils ne doivent être méprisés.

Heureux celui que de tels protecteurs soutiennent ! Ardjouna s’avance donc, invoque les dieux, salue respectueusement l’arc enchanté, le tend sans beaucoup de peine, saisit les cinq flèches et atteint le but. Les brahmanes émus et charmés déchirent leurs vêtements ; les musiciens et les bardes célèbrent cette victoire inattendue ; le royaume céleste s’entrouvre, et une pluie de fleurs tombe du haut des airs. Drau-