Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/149

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nieux. Il avait suffi, pour cela, de leur retrancher une partie de la nourriture, de substituer des paillasses aux matelas, et de remplacer le calicot par de la grosse toile !

Mais ces améliorations devenaient inutiles, si elles étaient combattues par la prodigalité de quelques privilégiés !… Et se servant de cette transition pour arriver au chien du paysan, il s’écria que ce chien était un scandale humanitaire ! Il calcula ce qu’il pouvait consommer en os rongés, en écuelles léchées, en miettes grugées, et trouva que le tout eût pu nourrir les trois cinquièmes d’un vieillard !

Puis, voyant les juges frappés de cet argument, il soutint que, puisque l’administration avait pris la charge et la tutelle du vieux paysan, elle avait droit de vendre son chien ; que c’était une faible compensation de tant de sacrifices ; un exemple indispensable pour la moralité et pour la dignité humaines. Il termina, enfin, en adjurant le tribunal de ne point encourager, chez le pauvre, ce luxe d’un compagnon inutile, et de l’accoutumer à manger seul la soupe économique de l’asile, assaisonnée par la sympathie des philanthropes, ses bienfaiteurs.

Après ce réquisitoire, que les magistrats avaient écouté avec une faveur visible, le président invita le vieillard à faire valoir ses moyens de défense ; mais celui-ci ne parut point l’entendre et ne répondit rien. Les regards attachés sur le vieil ami qui se reposait à ses pieds, il semblait s’oublier dans une contemplation mélancolique.

Le chien comprit, sans doute, l’émotion de ce silence, car il se redressa lentement, regarda son maître de plus près, et fit entendre un de ces soupirs plaintifs qui semblent interroger.