Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1859.djvu/99

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tout cet éclat, des valets en livrée circulaient chargés de plateaux, et offraient des rafraîchissements.

« Vous le voyez, dit M. Atout, le commerce s’est agrandi comme tout le reste ; ce n’est plus qu’une banque perfectionnée. Les profits, qui autrefois faisaient vivre médiocrement cent mille familles, ont créé dix existences royales auxquelles tout est possible. Votre temps était encore celui des petits marchands. En sortant d’apprentissage on se mariait, on ouvrait boutique avec son amour et son courage ! Mais, de nos jours, la bonne volonté ne tient plus lieu de capital, et la première condition, pour exercer un commerce, n’est point de le connaître : c’est d’avoir un million ! »

À ces mots, l’académicien se mit à calculer tout haut, pour Maurice, la valeur des marchandises entassées dans les galeries qu’ils parcouraient, tandis que milady Ennui faisait remarquer à Marthe leur prodigieuse variété.

Mais Maurice et Marthe n’écoutaient plus, car ils venaient d’apercevoir l’enseigne du magasin-monstre : Le Bon-Pasteur ! Leurs regards s’étaient aussitôt cherchés, leurs lèvres avaient murmuré en même temps le nom de mademoiselle Romain, et tous deux étaient devenus subitement rêveurs !

C’est que ce nom avait réveillé chez eux le souvenir de tout un autre monde ; un de ces souvenirs qui vous attendrissent comme la vue du vieux foyer sur lequel vous écoutiez les histoires de la nourrice, du petit jardin où vous plantiez des rameaux d’aubépine, de la borne qui servait de siège au mendiant avec lequel vous partagiez votre pain de l’école ! Et cependant mademoi-