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CONCLUSION.

tu diras que tu n’y serais pas bien sans moi. L’Être suprême l’accordera ton amie ; tu la demanderas, n’est-il pas vrai, Léonce ? » Delphine fut prête encore alors à tout révéler, en disant à Léonce quelle était l’action coupable dont il devait implorer le pardon pour elle. Peut-être aussi désirait-elle qu’il connût la véritable cause du courage extraordinaire qu’elle témoignait, dans la plus terrible de toutes les situations ; mais Léonce leva vers le ciel un regard plein de courage et de confiance : ce regard convainquit Delphine qu’elle avait enfin inspiré à son ami les pieuses espérances qu’elle lui souhaitait ; et elle craignit de détruire tout l’effet de ses paroles, en lui avouant de quelle faute sa religion même n’avait pu la préserver.

Réprimant donc encore une fois tout ce qui pouvait trahir son secret, Delphine rassembla ses forces, pour remplir dignement l’auguste mission dont elle s’était chargée. « Ne vois plus en moi, dit-elle à Léonce, celle qui partagea tes fautes, celle qui fut plus coupable encore. J’aimais la vertu, mais je n’avais point la force de l’accomplir, et Dieu, dans sa pitié, retire du monde la femme infortunée dont l’amour et le devoir ont déchiré le faible cœur. J’ai pris auprès de toi la place d’un homme religieux, qui aurait été vraiment digne de te parler au nom du ciel ; mais une voix qui t’est chère pouvait pénétrer plus avant dans ton âme, et cette voix, écoute-la, Léonce, comme si la Divinité l’avait pour un moment consacrée. Au milieu des terreurs qui nous environnent, lorsque la nature, amie de la vie, se révolte dans notre sein, la Providence éternelle nous voit et nous protège. Non, il est impossible que toutes les pensées, tous les sentiments qui nous animent soient anéantis ; notre esprit embrasse encore un immense avenir, notre cœur vit encore tout entier dans l’objet qu’il aime ; et dans quelques minutes, sur cette plaine où bientôt les roues de ce char vont nous entraîner, un fer romprait la trame de tant d’idées, de tant de sentiments, et les livrerait au vent qui disperse la poussière ! Ceux qui succombent lentement sous le poids des années peuvent croire à la destruction que d’avance ils ont ressentie ; mais nous qui marchons vers le tombeau tout pleins de l’existence, nous proclamons l’immortalité ! Il est vrai, ce temps qui s’écoule, ces armes qui se préparent, ce bruit sourd qui annonce déjà le coup mortel, remplissent d’effroi tous les sens, mais c’est un dernier effort de l’imagination trompée ; la vérité va nous rassurer, notre âme se retire en elle-même, et dans notre intime pensée, dans ce sanctuaire de l’amour et