Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/135

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Fabrice courut à l’archevêché : par un bonheur singulier, le valet de chambre du bon prélat, un peu sourd, n’entendit pas le nom del Dongo ; il annonça un jeune prêtre, nommé Fabrice ; l’archevêque se trouvait avec un curé de mœurs peu exemplaires, et qu’il avait fait venir pour le gronder. Il était en train de faire une réprimande, chose très pénible pour lui, et ne voulait pas avoir ce chagrin sur le cœur plus longtemps ; il fit donc attendre trois quarts d’heure le petit neveu du grand archevêque Ascanio del Dongo.

Comment peindre ses excuses et son désespoir quand, après avoir reconduit le curé jusqu’à la seconde antichambre, et lorsqu’il demandait en repassant, à cet homme qui attendait, en quoi il pouvait le servir, il aperçut les bas violets et entendit le nom Fabrice del Dongo ? La chose parut si plaisante à notre héros, que, dès cette première visite, il se hasarda à baiser la main du saint prélat, dans un transport de tendresse. Il fallait entendre l’archevêque répéter avec désespoir :

— Un del Dongo attendre dans mon antichambre !

Il se crut obligé, en forme d’excuse, de lui raconter toute l’anecdote du curé, ses torts, ses réponses, etc.

« Est-il bien possible, se disait Fabrice en revenant au palais Sanseverina, que ce soit là l’homme qui a fait hâter le supplice de ce pauvre comte Palanza ! »

— Que pense Votre Excellence, lui dit en riant le comte Mosca, en le voyant rentrer chez la duchesse (le comte ne voulait pas que Fabrice l’appelât Excellence).

— Je tombe des nues ; je ne connais rien au caractère des hommes : j’aurais parié, si je n’avais pas su son nom, que celui-ci ne peut voir saigner un poulet. — Et vous auriez gagné, reprit le comte ; mais quand il est devant le prince, ou seulement devant moi, il ne peut dire non. A la vérité, pour que je produise tout mon effet, il faut que j’aie le grand cordon jaune passé par-dessus l’habit, en frac il me contredirait, aussi je prends toujours un uniforme pour le recevoir. Ce n’est pas à nous à détruire le prestige du pouvoir, les journaux français le démolissent bien assez vite ; à peine si la manie respectante vivra autant que nous, et vous, mon neveu, vous survivrez au respect. Vous, vous serez bon homme !

Fabrice se plaisait fort dans la société du comte : c’était le premier homme supérieur qui eût daigné lui parler sans comédie ; d’ailleurs ils avaient un goût commun, celui des antiquités et des fouilles. Le comte de son côté, était flatté de l’extrême attention avec laquelle le jeune homme l’écoutait ; mais il y avait une objection capitale : Fabrice occupait un appartement dans le palais Sanseverina, passait sa vie avec la duchesse, laissait voir en toute innocence que cette intimité faisait son