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inlassable, de Daru, un poste d’adjoint provisoire aux commissaires des guerres.

Dès lors son histoire est mêlée à celle des campagnes de Napoléon. De 1806 à 1809, exception faite de quelques voyages à Paris, il vit au delà du Rhin, notamment à Brunswick, où il fait un séjour de deux ans, — le temps d’étudier un peu l’Allemagne, pendant que Mme de Staël se prépare à nous la révéler. Comme elle, il signale la bonté, la candeur et la mollesse des Allemands, sans paraître soupçonner la force de leur individualisme. Quant aux Allemandes, il les aimerait peut-être sous les jolis traits un peu fades de la jeune Minna de Griesheim, s’il n’avait trop gardé dans les yeux l’image de la beauté milanaise. En mars 1809, après une courte fugue à Paris, il quitte la France à Strasbourg, traverse Ingolstadt, Landshut, Wagram, et séjourne quelque temps à Vienne, qu’il apprécie. Cependant la romanesque Espagne l’attire et il y demande un poste. Ne l’ayant pas obtenu, il se fixe à Paris, où on le nomme, en août 1810, auditeur au Conseil d’État.

Beyle est donc devenu un personnage : auditeur au Conseil d’État, bientôt inspecteur du mobilier, commissaire-adjoint en non-activité, mais titulaire depuis 1807, il cumule les honneurs et les traitements. C’est pour lui l’existence facile, l’agrément de la vie parisienne, artistique et mondaine, avec des échappées aux environs, et jusqu’à la mer, qu’il sait aimer : « Le voisinage de la mer, écrira-t-il dans les Mémoires d’un touriste, détruit la petitesse, et la conversation du marin qui rentre au port est moins bête que celle du notaire de Bourges. » Toujours grand ami des coulisses, il s’intéresse à une aimable pensionnaire de l’Opera-Buffa, — Angélina Bareyter, — ce qui ne l’empêche pas de poursuivre avec obstination la conquête d’une grande dame, celle qu’il appelle Elvire ou la comtesse Palfy. Entreprise dès 1805, la conquête fut achevée en mai 1811. Le 28 août de la même année, déjà fatigué de cette victoire, il partait pour Milan, où il allait en remporter une autre, plus facile sinon moins glorieuse, sur celle dont le souvenir le hantait depuis dix ans et qui à elle seule lui personnifiait l’Italie, Angela Pietragrua.

De retour à Paris, il lit, écrit, travaille, termine presque une comédie, Letellier. Puis il se fait donner une mission en Russie, joint la Grande Armée à Wilna, entre avec elle à