Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/190

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despotiques, le premier intrigant adroit dispose de la vérité, comme la mode en dispose à Paris.

— Mais, que diable ! disait le prince à l’archevêque, on fait faire ces choses-là par un autre ; mais les faire soi-même, ce n’est pas l’usage ; et puis on ne tue pas un comédien tel que Giletti, on l’achète.

Fabrice ne se doutait en aucune façon de ce qui se passait à Parme. Dans le fait, il s’agissait de savoir si la mort de ce comédien, qui de son vivant gagnait trente-deux francs par mois, amènerait la chute du ministère ultra et de son chef le comte Mosca.

En apprenant la mort de Giletti, le prince, piqué des airs d’indépendance que se donnait la duchesse, avait ordonné au fiscal général Rassi de traiter tout ce procès comme s’il se fût agi d’un libéral. Fabrice, de son côté, croyait qu’un homme de son rang était au-dessus des lois ; il ne calculait pas que dans les pays où les grands noms ne sont jamais punis, l’intrigue peut tout, même contre eux. Il parlait souvent à Ludovic de sa parfaite innocence qui serait bien vite proclamée ; sa grande raison c’est qu’il n’était pas coupable. Sur quoi Ludovic lui dit un jour :

— Je ne conçois pas comment Votre Excellence, qui a tant d’esprit et d’instruction, prend la peine de dire de ces choses-là à moi qui suis son serviteur dévoué, Votre Excellence use de trop de précautions, ces choses-là sont bonnes à dire en public ou devant un tribunal. « Cet homme me croit un assassin et ne m’en aime pas moins », se dit Fabrice, tombant de son haut.

Trois jours après le départ de Pépé, il fut bien étonné de recevoir une lettre énorme fermée avec une tresse de soie comme du temps de Louis XIV, et adressée à Son Excellence révérendissime monseigneur Fabrice del Dongo, premier grand-vicaire du diocèse de Parme, chanoine, etc.

« Mais, est-ce que je suis encore tout cela ? » se dit-il en riant. L’épître de l’archevêque Landriani était un chef-d’œuvre de logique et de clarté ; elle n’avait pas moins de dix-neuf grandes pages, et racontait fort bien tout ce qui s’était passé à Parme à l’occasion de la mort de Giletti.

Une armée française commandée par le maréchal Ney et marchant sur la ville n’aurait pas produit plus d’effet, lui disait le bon archevêque ; à l’exception de la duchesse et de moi, mon très cher fils, tout le monde croit que vous vous êtes donné le plaisir de tuer l’histrion Giletti. Ce malheur vous fût-il arrivé ce sont de ces choses qu’on assoupit avec deux cents louis et une absence de six mois, mais la Raversi veut renverser le comte Mosca à l’aide de cet incident. Ce n’est point l’affreux péché du meurtre que le public blâme en vous, c’est uniquement la maladresse ou plutôt l’insolence de ne pas avoir daigné recourir à