Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/191

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un bulo (sorte de fier-à-bras subalterne). Je vous traduis ici en termes clairs les discours qui m’environnent, car depuis ce malheur à jamais déplorable, je me rends tous les jours dans trois maisons des plus considérables de la ville pour avoir l’occasion de vous justifier. Et jamais je n’ai cru faire un plus saint usage du peu d’éloquence que le Ciel a daigné m’accorder.

Les écailles tombaient des yeux de Fabrice, les nombreuses lettres de la duchesse, remplies de transports d’amitié, ne daignaient jamais raconter. La duchesse lui jurait de quitter Parme à jamais, si bientôt il n’y rentrait triomphant.

« Le comte fera pour toi, lui disait-elle dans la lettre qui accompagnait celle de l’archevêque, tout ce qui est humainement possible. Quant à moi, tu as changé mon caractère avec cette belle équipée ; je suis maintenant aussi avare que le banquier Tombone ; j’ai renvoyé tous mes ouvriers, j’ai fait plus, j’ai dicté au comte l’inventaire de ma fortune, qui s’est trouvée bien moins considérable que je ne le pensais. Après la mort de l’excellent comte Pietranera, que, par parenthèses, tu aurais bien plutôt dû venger, au lieu de t’exposer contre un être de l’espèce de Giletti, je restai avec douze cents livres de rente et cinq mille francs de dette ; je me souviens, entre autres choses, que j’avais deux douzaines et demie de souliers de satin blanc venant de Paris, et une seule paire de souliers pour marcher dans la rue. Je me suis presque décidée à prendre les trois cent mille francs que me laisse le duc, et que je voulais employer en entier à lui élever un tombeau magnifique. Au reste, c’est la marquise Raversi qui est ta principale ennemie, c’est-à-dire la mienne ; si tu t’ennuies seul à Bologne, tu n’as qu’à dire un mot, j’irai te rejoindre. Voici quatre nouvelles lettres de change, etc. »

La duchesse ne disait mot à Fabrice de l’opinion qu’on avait à Parme sur son affaire, elle voulait avant tout le consoler et, dans tous les cas, la mort d’un être ridicule tel que Giletti ne lui semblait pas de nature à être reprochée sérieusement à un del Dongo.

— Combien de Giletti nos ancêtres n’ont-ils pas envoyés dans l’autre monde, disait-elle au comte, sans que personne se soit mis en tête de leur en faire un reproche ?

Fabrice tout étonné, et qui entrevoyait pour la première fois le véritable état des choses, se mit à étudier la lettre de l’archevêque. Par malheur, l’archevêque lui-même le croyait plus au fait qu’il ne l’était réellement. Fabrice comprit que ce qui faisait surtout le triomphe de la marquise Raversi, c’est qu’il était impossible de trouver des témoins de visu de ce fatal combat. Le valet de chambre qui le premier en avait apporté la nouvelle à Parme était à l’auberge du village Sanguigna lorsqu’il avait eu lieu ; la petite Marietta et la vieille femme qui lui servait de mère avaient disparu, et la marquise avait acheté le veturino