Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/202

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— Votre race, disait-elle au comte, est aussi ancienne que celle des Farnèse à laquelle appartient ce jeune homme ?

— Que voulez-vous dire ? aussi ancienne ! Moi je n’ai point de bâtardise dans ma famille’.

Le hasard voulut que jamais le comte M *** ne put voir à son aise ce rival prétendu ; ce qui le confirma dans l’idée flatteuse d’avoir un prince pour antagoniste. En effet, quand les intérêts de son entreprise n’appelaient point Fabrice à Parme, il se tenait dans les bois vers Sacca et les bords du Pô. Le comte M *** était bien plus fier, mais aussi plus prudent depuis qu’il se croyait en passe de disputer le cœur de la Fausta à un prince ; il la pria fort sérieusement de mettre la plus grande retenue dans toutes ses démarches. Après s’être jeté à ses genoux en amant jaloux et passionné, il lui déclara fort net que son honneur était intéressé à ce qu’elle ne fût pas la dupe du jeune prince.

— Permettez, je ne serais pas sa dupe si je l’aimais ; moi, je n’ai jamais vu de prince à mes pieds.

— Si vous cédez, reprit-il avec un regard hautain, peut-être ne pourrai-je pas me venger du prince mais certes, je me vengerai.

Et il sortit en fermant les portes à tour de bras.

Si Fabrice se fût présenté en ce moment, il gagnait son procès.

— Si vous tenez à la vie lui dit-il le soir, en prenant congé d’elle après lé spectacle, faites que je ne sache jamais que le jeune prince a pénétré dans votre maison. Je ne puis rien sur lui, morbleu ! mais ne me faites pas souvenir que je puis tout sur vous !

— Ah ! mon petit Fabrice, s’écria la Fausta ; si je savais où te prendre !

La vanité piquée peut mener loin un jeune homme riche et dès le berceau toujours environné de flatteurs. La passion très véritable que le comte M *** avait eue pour la Fausta se réveilla avec fureur : il ne fut point arrêté par la perspective dangereuse de lutter avec le fils unique du souverain chez lequel il se trouvait ; de même qu’il n’eut point l’esprit de chercher à voir ce prince, ou du moins à le faire suivre. Ne pouvant autrement l’attaquer, M *** osa songer à lui donner un ridicule. « Je serai banni pour toujours des Etats de Parme, se dit-il, eh ! que m’importe ? » S’il eût cherché à reconnaître la position de l’ennemi, le comte M *** eût appris que le pauvre jeune prince ne sortait jamais sans être suivi par trois ou quatre vieillards, ennuyeux gardiens de l’étiquette, et que le seul plaisir de son choix qu’on lui