Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/205

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chapelle obscure de l’église de Saint-Jean. La Fausta était restée dans l’église jusqu’à ce qu’elle fût à peu près déserte, et alors elle avait échangé rapidement certains signes avec cet inconnu, avec les mains, elle faisait comme des croix. M *** courut chez l’infidèle ; pour la première fois elle ne put cacher son trouble ; elle raconta avec la naïveté menteuse d’une femme passionnée, que comme de coutume elle était allée à Saint-Jean, mais qu’elle n’y avait pas aperçu cet homme qui la persécutait. A ces mots, M ***, hors de lui, la traita comme la dernière des créatures, lui dit tout ce qu’il avait vu lui-même, et la hardiesse des mensonges croissant avec la vivacité des accusations, il prit son poignard et se précipita sur elle. D’un grand sang-froid la Fausta lui dit :

— Eh bien ! tout ce dont vous vous plaignez est la pure vérité, mais j’ai essayé de vous la cacher afin de ne pas jeter votre audace dans des projets de vengeance insensés et qui peuvent nous perdre tous les deux ; car, sachez-le une bonne fois, suivant mes conjonctures, l’homme qui me persécute de ses soins est fait pour ne pas trouver d’obstacles à ses volontés, du moins en ce pays.

Après avoir rappelé fort adroitement qu’après tout M *** n’avait aucun droit sur elle, la Fausta finit par dire que probablement elle n’irait plus à l’église de Saint-Jean. M *** était éperdument amoureux, un peu de coquetterie avait pu se joindre à la prudence dans le cœur de cette jeune femme, il se sentit désarmer. Il eut l’idée de quitter Parme ; le jeune prince, si puissant qu’il fût, ne pourrait le suivre, ou s’il le suivait ne serait plus que son égal. Mais l’orgueil représenta de nouveau que ce départ aurait toujours l’air d’une fuite, et le comte M *** se défendit d’y songer.

« Il ne se doute pas de la présence de mon petit Fabrice, se dit la cantatrice ravie, et maintenant nous pourrons nous moquer de lui d’une façon précieuse ! »

Fabrice ne devina point son bonheur, trouvant le lendemain les fenêtres de la cantatrice soigneusement fermées, et ne la voyant nulle part, la plaisanterie commença à lui sembler longue. Il avait des remords. « Dans quelle situation est-ce que je mets ce pauvre comte Mosca, lui ministre de la Police ! on le croira mon complice, je serai venu dans ce pays pour casser le cou à sa fortune ! Mais si j’abandonne un projet si longtemps suivi, que dira la duchesse quand je lui conterai mes essais d’amour ? »

Un soir que prêt à quitter la partie il se faisait ainsi la morale, en rôdant sous les grands arbres qui séparent le palais de la Fausta de la citadelle, il remarqua qu’il était suivi par un espion de fort petite taille ; ce fut en vain que pour s’en débarrasser il alla passer par plusieurs rues, toujours cet être microscopique semblait attaché à ses pas. Impatienté, il courut dans