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inoffensif. Justement indignée de cette injure atroce, je pars pour Florence : je laisse à chacun de vous ses gages pendant dix ans ; si vous êtes malheureux, écrivez-moi, et tant que j’aurai un sequin, il y aura quelque chose pour vous. »

La duchesse pensait exactement ce qu’elle disait, et, à ses derniers mots, les domestiques fondirent en larmes ; elle aussi avait les yeux humides ; elle ajouta d’une voix émue : — « Priez Dieu pour moi et pour monseigneur Fabrice del Dongo, premier grand-vicaire du diocèse, qui demain matin va être condamné aux galères, ou, ce qui serait moins bête, à la peine de mort. »

Les larmes des domestiques redoublèrent et peu à peu se changèrent en cris à peu près séditieux ; la duchesse monta dans son carrosse et se fit conduire au palais du prince. Malgré l’heure indue, elle fit solliciter une audience par le général Fontana, aide de camp de service ; elle n’était point en grand habit de cour, ce qui jeta cet aide de camp dans une stupeur profonde. Quant au prince, il ne fut point surpris, et encore moins fâché de cette demande d’audience. Nous allons voir des larmes répandues par de beaux yeux, se dit-il en se frottant les mains. Elle vient demander grâce ; enfin cette fière beauté va s’humilier ! elle était aussi trop insupportable avec ses petits airs d’indépendance ! Ces yeux si parlants semblaient toujours me dire, à la moindre chose qui la cho-