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la bonne compagnie

dant ce sont des gens dont la noblesse prouvée remonte à l’an 700, un siècle avant Charlemagne, tandis que tout ce qu’il y avait de plus noble ce soir au bal de M. de Retz ne remonte, et encore clopin-clopant, que jusqu’au XIIIe siècle. Eh bien ! au milieu de ces nobles de Venise, si grands par la naissance, c’est d’Israël Bertuccio qu’on se souvient.

Une conspiration anéantit tous les titres donnés par les caprices sociaux. Là, un homme prend d’emblée le rang que lui assigne sa manière d’envisager la mort. L’esprit lui-même perd de son empire…

Que serait Danton aujourd’hui, dans ce siècle des Valenod et des Rênal ? pas même substitut du procureur du roi…

Que dis-je ? il se serait vendu à la congrégation : il serait ministre, car enfin ce grand Danton a volé. Mirabeau aussi s’est vendu. Napoléon avait volé des millions en Italie, sans quoi il eût été arrêté tout court par la pauvreté, comme Pichegru. La Fayette seul n’a jamais volé. Faut-il voler, faut-il se vendre ? pensa Julien. Cette question l’arrêta tout court. Il passa le reste de la nuit à lire l’histoire de la Révolution.

Le lendemain, en faisant ses lettres dans la bibliothèque, il ne songeait encore qu’à la conversation du comte Altamira.