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le rouge et le noir

Dans le fait, se disait-il après une longue rêverie, si ces Espagnols libéraux avaient compromis le peuple par des crimes, on ne les eût pas balayés avec cette facilité. Ce furent des enfants orgueilleux et bavards… comme moi ! s’écria tout à coup Julien comme se réveillant en sursaut.

Qu’ai-je fait de difficile qui me donne le droit de juger de pauvres diables, qui enfin, une fois en la vie, ont osé, ont commencé à agir ? Je suis comme un homme qui, au sortir de table, s’écrie : Demain je ne dînerai pas ; ce qui ne m’empêchera point d’être fort et allègre comme je le suis aujourd’hui. Qui sait ce qu’on éprouve à moitié chemin d’une grande action ?… Ces hautes pensées furent troublées par l’arrivée imprévue de mademoiselle de La Mole, qui entrait dans la bibliothèque. Il était tellement animé par son admiration pour les grandes qualités de Danton, de Mirabeau, de Carnot, qui ont su n’être pas vaincus, que ses yeux s’arrêtèrent sur mademoiselle de La Mole, mais sans songer à elle, sans la saluer, sans presque la voir. Quand enfin ses grands yeux si ouverts s’aperçurent de sa présence, son regard s’éteignit. Mademoiselle de La Mole le remarqua avec amertume.

En vain elle lui demanda un volume de l’Histoire de France de Vély, placé au rayon