Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/215

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ce commencement de haine dans son cœur, elle se méprisait. Comme depuis quinze grands jours elle ne voyait plus Leuwen, le sentiment qu’elle avait pour lui ne lui donnait que du malheur.

Leuwen, dans son désespoir, était allé mettre à la poste à Darney trois lettres, heureusement fort prudentes, lesquelles avaient été interceptées par mademoiselle Bérard, maintenant parfaitement d’accord avec le docteur Du Poirier.

Leuwen ne quittait plus le docteur. Ce fut une fausse démarche. Leuwen était loin d’être assez savant en hypocrisie pour pouvoir se permettre la société intime d’un intrigant sans moralité. Sans s’en douter, il l’offensa mortellement. Le docteur, piqué de la naïveté du mépris de Leuwen pour les fripons, les renégats, les hypocrites, parvint à le haïr. Étonné de la chaleur de son bon sens lorsqu’il était question entre eux du peu d’apparence du retour des Bourbons :

— Mais à ce compte, moi, lui dit un jour le docteur poussé à bout, je ne suis donc qu’un imbécile ?

Il continua tout bas :

« Nous allons voir, jeune insensé, ce qu’il va advenir de ton plus cher intérêt. Raisonne sur l’avenir, répète des idées que tu trouves toutes faites dans ton Carrel,