Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/39

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— Je gémis comme vous des accidents terribles qui peuvent arriver dans l’emploi trop rapide de la force la plus légitime. Mais vous sentez bien qu’un accident déploré et réparé autant que possible ne prouve rien contre un système. Est-ce qu’un homme qui blesse son ami à la chasse est un assassin ?

— M. de Torpet nous a parlé pendant une grande demi-heure, ce soir, de cet inconvénient exagéré par la mauvaise presse.

— Torpet est un sot, et c’est parce que nous n’avons pas de Leuwen, ou qu’ils manquent de liant dans le caractère, que nous sommes forcés quelquefois d’employer des Torpet. Car enfin, il faut bien que la machine marche. Les arguments et les mouvements d’éloquence pour lesquels ces messieurs sont payés ne sont pas faits pour des intelligences telles que la vôtre. Mais dans une armée nombreuse tous les soldats ne peuvent pas être des héros de délicatesse.

— Mais qui m’assurera qu’un autre ministre n’emploiera pas en mon honneur précisément les mêmes termes dont Votre Excellence se sert pour faire le panégyrique de M. de Torpet ?

— Ma foi, mon ami, vous êtes intraitable !