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ŒUVRES DE STENDHAL.

planté sur les bords de la Vilaine, a dû être là dans une sorte d’hostilité perpétuelle. Je me figure que, lorsqu’il se promène dans la campagne, il a toujours son fusil sous prétexte de chasse. Au bout de dix ans, quand on l’a vu sans peur, il y aura eu réconciliation avec les braves Bretons. Walter Scott a peint souvent ce genre d’existence, auquel une petite pointe de danger enlève la monotonie et toutes les petitesses bourgeoises qui font la vie d’un aubergiste des environs de Bourges.

De la Vilaine à Vannes, le pays devient fort joli ; il y a des arbres bien verts, et souvent, pendant ces dix lieues de chemin, nous avons aperçu l’admirable baie du Morbihan. J’ai eu le courage de lire.

À Nantes, j’ai fait découdre le gros volume des Mémoires du cardinal de Retz, de façon à l’avoir en feuilles, et je mets deux ou trois de ces feuilles dans un portefeuille fort mince que l’on cache sous les coussins de la voiture.

Je vois, page 65 à 90, qu’en 1648, sous la minorité de Louis XIV, la France se trouva vis-à-vis du gouvernement actuel : les impôts délibérés par une assemblée de quatre cents membres suffisamment instruits, et la plupart non nobles. Cette assemblée refusait l’impôt au premier ministre. Elle exigeait que personne ne pût être retenu en prison plus de trois jours sans être interrogé, et la cour était obligée d’y souscrire. La liberté de la presse était suffisante, voir Marigny. La Fronde eût fort bien pu amener l’établissement de ce régime.

Mazarin ne connaissait d’autre pouvoir que le despotisme tel qu’il l’avait vu à la cour des petits princes d’Italie. Il l’emporta ; le grand Condé et le cardinal de Retz furent jetés en prison, et quelques années plus tard Louis XIV réalisa ce pouvoir italien. Ainsi, même à compter le pouvoir absolu depuis 1653, il n’a duré que cent quarante ans en France, de 1653 à 1793, sous Louis XIV, Louis XV et Louis XVI.

En 1649, le grand Condé put se faire roi, en établissant que l’impôt serait voté tous les ans par les quatre cents membres du