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ŒUVRES DE STENDHAL.

porte est ornée d’un perron, et Jean-Marie nous a dit qu’on allait placer dans cette chapelle des copies des tableaux de Lesueur. En revenant, nous avons trouvé à mi-chemin la chapelle de la Vierge. Les aspects sauvages, sombres, terribles, nous occupaient bien plus que ces petits monuments des hommes, d’ailleurs d’un siècle pauvre.

Nous n’avons guère eu le temps d’examiner cette dernière chapelle ; un vent impétueux roulait de gros nuages noirs à une portée de pistolet de nous, et nous craignions la pluie. Comme nous rentrions dans l’infirmerie, un coup de tonnerre épouvantable a fait retentir ces rochers nus et ces forêts de grands sapins. Jamais je n’entendis un tel bruit. Qu’on juge de l’effet sur les dames. Le vent a redoublé de fureur, et il lançait la pluie contre les fenêtres de l’infirmerie de façon à les enfoncer. Qu’allons-nous devenir si les vitres se cassent, disaient les dames ? Ce spectacle était sublime pour moi. On entendait les gémissements de quelques sapins de quatre-vingts pieds de haut que l’orage essayait de briser. Le paysage était éclairé par une lueur grise tout à fait extraordinaire : nos dames commençaient à avoir une peur réelle. La nuit qui approchait redoublait la tristesse du paysage. Les coups de tonnerre étaient de plus en plus magnifiques. Je m’en allais, je voulais être seul ; les dames m’ont rappelé.

Bientôt Jean-Marie est arrivé, et nous a dit qu’il fallait rentrer, qu’on allait fermer le couvent. Nous ne comprenions pas trop ce qu’il voulait dire ; et, de son côté, Jean-Marie ne s’expliquait pas, croyant que nous étions instruits des usages du couvent.

La terreur de ces dames a été au comble, lorsque le frère a déclaré que tous les hommes, même les maris, devaient aller coucher au monastère, et que ces dames devaient rester absolument seules dans l’infirmerie. Or, ce bâtiment est bien à deux cents pas de l’autre.

— Mais, disait une de ces dames, que deviendrions-nous si