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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

des voleurs venaient nous attaquer ? Sur quoi frère Jean-Marie a déclaré que, quelques cris qu’on entendît, et quand même il y aurait des coups de fusil, rien au monde ne pourrait faire ouvrir la porte du couvent pendant la nuit. Ce serait un cas à écrire à Rome, ajoutait-il.

À ce mot de coups de fusil, la peur de cette pauvre femme est devenue tellement forte, que son mari m’a pris à part pour me charger de séduire Jean-Marie. Je me suis mis à l’œuvre ; ce brave religieux m’a refusé d’une manière simple, et qui m’a semblé de bonne foi. Je lui ai offert jusqu’à dix napoléons, qu’il pourrait employer en aumônes s’il n’avait pas de besoins personnels. Je n’ai rien obtenu. J’ai rejoint les dames : ou a proposé d’aller coucher au Sapey ; mais frère Jean-Marie, consulté, nous a répondu qu’il y aurait danger, même pour les hommes.

— Tous les chemins que vous avez parcourus ce matin sont maintenant de petits ravins, où il y a un demi-pied d’eau ; et comme cette eau entraîne des pierres rondes, vos mulets, qui sont malins, ne voudront pas avancer, ou s’obstineront à marcher sur les bords du chemin, qui sont fort glissants par cette pluie. Si le père-procureur m’ordonnait par un si mauvais temps d’aller au Sapey, j’irais à pied et marchant toujours au milieu du chemin. Deux de ces messieurs ont déclaré qu’ils passeraient la nuit dans les bois, ce qui a été positivement refusé. Ils insistaient.

— Vous m’obligez de vous dire, messieurs, a repris Jean-Marie, que j’irais dans ce cas prendre vingt domestiques au couvent, que nous viendrions fermer l’infirmerie, après avoir, suivant les règlements, mis ces dames hors de chez nous. Pourquoi aussi amener des dames en ce lieu ?

Enfin, comme frère Jean-Marie nous pressait honnêtement, nous avons été obligés d’abandonner nos pauvres compagnes de voyage. Nous leur avons laissé un pistolet. Nous étions fort tristes. En faisant les deux cents pas qui nous séparaient du couvent, nous avons été mouillés à fond, et il y a eu des coups de