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ŒUVRES DE STENDHAL.

tonnerre vraiment assourdissants. Nous pensions à ce qu’on éprouvait à l’infirmerie. Arrivés, on nous a montré à chacun une petite cellule fort étroite et de petits lits en bois de sapin. Malgré le bruit de la tempête qui continuait, la fatigue nous a bientôt assoupis ; et nous dormions du meilleur cœur, lorsque nous avons été réveillés en sursaut par un bruit de cloches épouvantable, et par des coups de tonnerre qui faisaient trembler la maison. J’ai eu rarement un réveil aussi singulier ; il y avait quelque chose du jugement dernier.

Un moine est venu nous inviter à aller à la prière ; mes compagnons, de fort mauvaise humeur à cause du traitement infligé aux dames, n’ont pas voulu se lever ; moi je l’ai suivi. Il faisait un froid perçant le long de ces étroits corridors, quoiqu’à la mi-août.

Bien de singulier et de lugubre comme l’aspect de l’église ; on m’a placé au bas, près de la grande porte. Les chartreux sont dans des stalles, et ont devant eux une séparation en planches, de quatre pieds de hauteur, de façon que, lorsqu’ils se mettaient à genoux, je ne voyais plus rien. Au milieu du plus profond silence et pendant la méditation, les coups de tonnerre ont recommencé de plus belle. Que j’aurais voulu dans ce moment ne rien savoir de l’électricité ni de Franklin !

Cet instant a été le point culminant de la terreur ; lorsque je suis venu me recoucher vers les trois heures du matin, il y avait des étoiles au ciel ; le temps était superbe, mais il faisait un froid perçant.

J’ai eu toutes les peines du monde à me réveiller à huit heures. Mes compagnons étaient depuis longtemps auprès de ces dames ; j’ai appris que leur nuit a été des plus singulières.

Vers les deux heures, et pendant que la tempête durait encore, ces dames ont cru que des voleurs cherchaient à ouvrir leur porte. Probablement l’une d’elles, couchée près de la porte fort mince et en bois de sapin, lui donnait des coups de coude pendant un sommeil agité. La plus courageuse des jeunes prison-