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ŒUVRES DE STENDHAL.

Son père l’avait fait gouverneur de Provence. Un jour, comme il se rendait d’Aix à Marseille, il rencontra l’intendant de la province qui allait de Marseille à Aix. Au lieu de se faire la moue, comme n’y manqueraient pas le préfet et le général d’un département, ils firent rapprocher leurs voitures et se mirent à jouer tranquillement, par les portières, à l’ombre de cet arbre : M. de Villars perdit trois mille louis.

À moitié chemin, à peu près, presque étouffé par la poussière, j’ai entrevu vers les deux heures du matin, dans une vallée que traverse la route, un joli petit bois bien frais ; chose miraculeuse au milieu de ces coteaux arides de la Provence. En été, ce pays ne se compose que de coteaux calcinés et d’une poussière infâme qui pénètre partout ; je puis toujours écrire avec le doigt sur les manches de ma redingote. Derrière le bois entrevu cette nuit est un château appartenant, dit-on, à M. d’Albertas.

Vers les trois heures, je suis réveillé par une odeur atroce ; je vois une fumée blanche qui rampe et descend sur des coteaux affreux et complètement dépourvus de végétation ; c’est une fabrique de soude factice, me dit le postillon.

Je manque la belle vue de l’arrivée à Marseille ; je ne me réveille que sous les fenêtres de l’Hôtel des Bouches-du-Rhône, rue de Paradis, ce me semble. C’est une maison de second ordre, j’en conviens ; mais j’ai en horreur les grands hôtels, patrie du tapage et de l’importance. Avant d’aller chercher les correspondants de la maison, puisque j’ai résolu de tenir un journal à ce voyage-ci, je viens d’écrire les détails qui précèdent, si peu intéressants en eux-mêmes, que demain je ne m’en serais plus souvenu.


— Marseille,..... 1837.

Un jeune homme d’une tournure élégante et fort peu affectée, ma foi, nouveau correspondant de notre maison pour les affaires d’Alger, m’a offert son cheval, et avec une bonne grâce si naturelle, que je l’ai accepté. Donc, ce matin vers les six heures, je