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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

me suis avancé au grand trot sur la route d’Aix, m’efforçant de ne regarder ni à droite ni à gauche. Quand je me suis vu à une bonne demi-lieue au delà du Château vert, où l’on mangeait autrefois de si bonnes bouille-à-baisses, je tourne mon cheval, je le mets au pas, et je vais faire mon entrée dans Marseille.

Les gens du pays appellent ce point-ci la Vista, la vue par excellence. Ce lieu mérite son nom ; la vue, en effet, est immense et ravissante. À droite, on vient d’apercevoir tout à coup la Méditerranée. Elle forme ici un golfe animé par une multitude de barques ; les rayons du soleil levant sèment d’étincelles les petites vagues de cette mer tranquille et mollement agitée par la brise du matin. Les rochers peu élevés qui s’avancent dans la mer forment ici un angle droit avec la côte le long de laquelle on marche, et donnent à l’ensemble du paysage une aménité singulière.

J’ai souvent rencontré ces vues gracieuses sur les côtes de la Méditerranée. Comme cette mer n’a pas de flux et de reflux, elle offre rarement ces aspects désolés, si communs sur les tristes rivages de l’Océan. Ses côtes ne sont jamais gâtées par cette demi-lieue de sable et de boue qui, dans les ports de Normandie, deux fois par jour régulièrement, viennent attrister le voyageur et lui montrer les navires tristement penchés sur le côté. Rien n’est propre et pur comme les côtes du golfe de Bandol, que j’apercevais à ma droite, en revenant ce matin à Marseille. Un paysage qui reproduirait exactement cette vue passerait pour sec et hors de nature à Paris.

En face de moi, je voyais cette magnifique Marseille, cette ville du Midi par excellence ; elle est placée au fond d’un amphithéâtre formé par des rochers arides comme tous ceux de la Provence. Mais au bas des rochers on aperçoit des arbres d’un vert foncé, qui marquent le cours de l’Huveaune. À droite, c’est la mer, et toute la contrée qui environne Marseille, sur la gauche, au bas des rocs, est couverte de petites maisons de carapace d’une éclatante blancheur, qu’on appelle bastides. Je crois