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LE BATEAU ENGRAVÉ

une famille qui la veille avait dîné à table d’hôte, et qui racontait que le matin elle était arrivée sur le rivage une heure juste après le départ de la vapeur.

Par bonheur je me suis éveillé à quatre heures, et j’ai été obligé d’aller tirer par le bras le portier qui, la veille, avait sollicité avec bassesse la faveur de porter mon sac de nuit au bateau. Il m’a trouvé fort indiscret de troubler ainsi son repos, et a marqué beaucoup d’humeur, même quand je l’ai payé.

À cinq heures et demie, les roues du bateau se sont mises en mouvement ; mais ce mouvement n’a pas duré. Au bout de dix minutes, nous nous sommes bravement arrêtés sur un banc de sable qui continue l’île de la Loire, laquelle commence au-dessous du beau pont. Le chef du bateau s’est mis à jurer horriblement contre ses subordonnés, leur disant qu’ils devaient bien savoir qu’on ne devait pas passer en ce lieu, que la veille au soir encore le bateau arrivant d’en bas avait été obligé de passer le long de la rive droite.

Le plaisant, c’est que lui-même était à bord au moment du départ ; il est vrai qu’il était occupé à faire le gros dos et à donner des ordres d’un air d’empereur romain pour le placement des équipages. Le triste, c’est que nous avons passé deux