Page:Stendhal - Mémoires d’un touriste, I, 1929, éd. Martineau.djvu/493

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
454
MÉMOIRES D’UN TOURISTE

heures et demie immobiles sur ce banc de sable, et au milieu d’une humidité insupportable ; car, au bout de dix minutes, il est survenu un brouillard tellement épais, que nous ne voyions plus les bords de la Loire. Nous étions pénétrés de froid, les dames avaient peur. Notre machine a failli se briser, parce qu’on a voulu faire tourner les roues, dont une était prise dans le sable. Le désordre le plus complet régnait parmi les mariniers : tous juraient à la fois ; aucun ne se donnait le temps de penser à ce qu’il fallait faire. Le plus jeune, le moins élevé en grade, ce me semble, s’est jeté à l’eau, et nous avons vu avec effroi que l’eau ne lui arrivait pas à la ceinture. On a tenté plusieurs essais qui n’ont pas réussi ; on voulait mettre le bateau en travers, afin que le courant l’enlevât. Mais comment le faire pivoter sur le banc de sable de cinq ou six pieds de large sur lequel il s’était placé ? Pour alléger le bâtiment, on nous a fait descendre tous (les hommes s’entend) dans la nacelle ; mais cette nacelle, peu accoutumée à un tel poids, faisait eau de toutes parts. Nous avions de l’eau jusqu’à la cheville ; j’ai vu le moment où elle allait couler à fond sur la pointe du banc de sable. À la vérité, il n’y avait pas grand péril ; nous aurions plongé dans l’eau jusqu’aux genoux.