Page:Sterne - Œuvres complètes, t5-6, 1803, Bastien.djvu/188

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ingénument que c’étoit pour faire le galant vis-à-vis de sa maîtresse.

Moi, j’avois précisément à le faire vis-à-vis de madame de R… J’avois retenu exprès mon carrosse de remise, et ma vanité n’auroit pas été peu flattée d’avoir un domestique aussi élégant derrière ma voiture… J’avois de la peine à me résoudre à me passer de lui dans cette occasion.

Mais il ne faut pas raisonner dans ces petits embarras, il faut sentir. Les domestiques sacrifient leur liberté dans le contrat qu’ils font avec nous ; mais ils ne sacrifient pas la nature. Il sont de chair et de sang, et ils ont leur vanité, leurs souhaits, aussi bien que leurs maîtres… Ils ont mis à prix leur abnégation d’eux-mêmes, si je peux me servir de cette expression ; cependant leurs attentes sont quelquefois si déraisonnables, que si leur état ne me donnoit pas le moyen de les mortifier, je voudrois souvent les en frustrer… Mais quand je réfléchis qu’ils peuvent me dire :

Je le sais bien… je sais que je suis votre domestique… Je sens alors que je suis désarmé de tout le pouvoir d’un maître.

La Fleur, tu peux exaler, lui dis-je…

Mais quelle espèce de maîtresse as-tu faite