Aller au contenu

Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/105

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Car le soleil était à cette heure un peu dans l’ouest, et il y avait un espace d’ombre sur le flanc de notre rocher, qui était le côté invisible aux soldats.

– Autant une mort que l’autre, dit Alan. Et se laissant glisser par-dessus le rebord, il sauta à terre du côté de l’ombre.

Je le suivis sans hésiter, et m’étendis aussitôt de mon long, tout épuisé et vertigineux de cette interminable torture. Nous demeurâmes sans bouger une heure ou deux, courbaturés de la tête aux pieds, anéantis, et exposés sans remède aux yeux de tout soldat qui fût passé par là. Mais personne ne vint, car tous prenaient l’autre côté ; si bien que notre rocher demeurait notre égide, même dans cette nouvelle situation.

Peu à peu nous recouvrâmes quelques forces ; et comme les soldats s’étaient alors rapprochés de la rivière, Alan fut d’avis que nous pourrions tenter de fuir. À ce moment, je n’avais plus peur que d’une chose au monde : retourner sur le rocher ; tout le reste m’était égal. Nous nous mîmes donc aussitôt en ordre de marche, et entreprîmes de nous glisser d’un roc à l’autre successivement, tantôt rampant à plat ventre dans l’ombre, tantôt galopant dans l’intervalle, le cœur sur les lèvres.

Après avoir exploré méthodiquement ce côté de la vallée, et peut-être alourdis par la touffeur de l’après-midi, les soldats s’étaient fort relâchés de leur vigilance, et somnolaient à leur poste ou ne surveillaient plus que les rives du torrent ; aussi, de la façon que je viens de dire, descendant la vallée et obliquant un peu vers la hauteur, nous nous éloignâmes par degrés de leur voisinage. Il eût fallu avoir cents yeux tout autour de la tête, pour rester caché sur ce terrain inégal et à portée de voix de toutes ces sentinelles dispersées. Lorsque nous avions à franchir un espace découvert, la promptitude ne suffisait pas, il fallait encore scruter à l’instant, outre les embûches de tout le paysage, la solidité de chacune des pierres sur lesquelles nous devions poser le pied ; car l’après-midi était tombé à un silence tel qu’un simple caillou faisait, en roulant, le bruit d’un coup de pistolet, et réveillait tous les échos des hauteurs et des précipices.

Au coucher du soleil, en dépit de l’allure si lente de nos progrès, nous avions déjà parcouru quelque distance, bien que la sentinelle sur le roc fût toujours visible. Mais nous arrivâmes alors devant un objet qui nous fit oublier toutes nos craintes. C’était un torrent profond et rapide qui se précipitait devant nous, pour rejoindre le courant principal.

Nous nous jetâmes à terre sur son bord et plongeâmes dans l’eau nos têtes et nos bras ; et je ne saurais dire ce qui était le plus délicieux, du grand frisson éprouvé au contact de la torrentueuse fraîcheur ou des avides gorgées que nous en avalions.

Nous restâmes là (cachés par les rives), buvant coup sur coup, nous baignant le torse, laissant pendre nos poignets dans l’eau vive, jusqu’à ce que la fraîcheur les endolorît, et pour finir, ainsi admirablement revigorés, nous sortîmes le sac à farine et fîmes le drammach dans notre casserole de fer. Ce mets – simple pâte de farine d’avoine délayée dans