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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/115

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méconnaissable. Mais par ailleurs il n’avait aucunement l’air abattu, il ne perdait rien de son agilité, et j’étais émerveillé de son endurance.

À la fin, comme la nuit tombait, nous entendîmes un bruit de trompettes, et, regardant derrière nous, entre les bruyères, nous vîmes la troupe faire son rassemblement. Quelques minutes plus tard, le feu était allumé et le camp dressé pour la nuit vers le centre de la plaine.

À cette vue, je priai et suppliai Alan qu’il nous permît de nous coucher et de dormir.

– Il n’y aura pas de sommeil pour nous cette nuit ! répondit-il. Une fois reposés, ces dragons là-bas vont vous cerner le marais, et personne ne sortira plus d’Appin que la gent ailée. Nous venons de l’échapper belle, et vous voudriez nous faire perdre ce que nous avons gagné ! Non, non, il faut que le jour, en se levant, nous trouve, vous et moi, en lieu sûr au haut de Ben Adler.

– Alan, dis-je, ce n’est pas la bonne volonté, c’est la force qui me manque. Si je pouvais, j’irais ; mais, aussi sûr que je vis, je n’en peux plus.

– Très bien, dit Alan, je vous porterai donc.

Je le regardai, croyant qu’il plaisantait ; mais non ! le petit homme était parfaitement sérieux ; et je rougis de le voir si résolu.

– Laissez ! dis-je, je vous suis.

Il me lança un coup d’œil qui signifiait : « Bravo, David ! » et se remit à courir de toute sa vitesse.

La nuit avait amené quelque fraîcheur et même un peu (mais guère) d’obscurité. Le ciel était sans nuages ; nous étions encore en juillet, et très haut dans le nord ; au plus sombre de la nuit, il aurait fallu de bons yeux pour lire, mais néanmoins j’ai vu souvent des journées d’hiver plus sombres en plein midi. Une rosée dense tombait et trempait la plaine comme de la pluie ; et elle me ranima tout d’abord. Quand nous fîmes halte pour souffler et que j’eus le loisir de contempler autour de moi la nuit claire et douce, les profils comme endormis des montagnes, et derrière nous le feu, réduit par la distance à un point brillant sur le marais, une exaspération soudaine me saisit de devoir me traîner ainsi misérablement et manger de la poussière comme un ver.

D’après ce que j’ai lu dans les livres, je crois que bien peu de ceux qui tinrent jamais une plume ont réellement connu la fatigue, sinon ils l’auraient décrite plus fortement. Je n’avais plus souci de ma vie, ni passée ni future, et je me souvenais à peine qu’il existât un garçon nommé David Balfour ; je pensais non plus à moi, mais uniquement à chacun de mes pas, dont le suivant me paraissait devoir être le dernier, avec désespoir, – et à Alan, la cause de tout, avec haine. Alan possédait la vraie méthode militaire : c’est le rôle de l’officier de faire en sorte que ses hommes continuent à exécuter les choses sans savoir pourquoi, et dans des circonstances où, si on le leur permettait, ils se coucheraient sur place et se laisseraient tuer. Et je pense que j’aurais fait un assez bon simple soldat, car, durant ces dernières heures, il ne me vint pas