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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/122

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refusé, si j’avais eu ma lucidité ! Mais tout ce que je désirais alors était qu’il éloignât son visage, et je lui remis mon argent.

Le matin du troisième jour, alors que nous avions déjà passé quarante-huit heures dans la Cage, je m’éveillai en meilleures dispositions d’esprit, encore très faible et las, mais voyant les choses de leurs dimensions exactes et sous leur aspect normal de tous les jours. J’avais même de l’appétit ; je me levai spontanément de mon lit ; et après, avoir déjeuné, m’avançai jusqu’au seuil de la Cage et m’assis à l’extérieur, au haut du bois. Le ciel était gris, l’air fade et insipide ; et je passai toute la matinée comme dans un rêve, que troublaient seules les allées et venues des éclaireurs de Cluny et des serviteurs apportant provisions ou rapports ; car à cette heure le danger était loin, et il tenait pour ainsi dire cour ouverte.

Lorsque je rentrai, Alan et lui avaient déposé leurs jeux et questionnaient un client. Le chef, se retournant vers moi, m’adressa la parole en gaélique.

– Je ne sais pas le gaélique, monsieur, dis-je.

Or, depuis l’affaire des cartes, tout ce que je disais avait le privilège d’agacer Cluny.

– Votre nom a plus de sens que vous, en ce cas, dit-il avec irritation, car il est de bon gaélique. Mais voici la chose. Mon éclaireur rapporte que la voie est libre dans le sud, et il s’agit de savoir si vous aurez la force de repartir ?

Les cartes étaient sur la table, mais plus l’or ; rien qu’un tas de petits papiers écrits, tous du côté de Cluny. Alan, d’ailleurs, avait un drôle d’air, comme assez mal satisfait ; et je fus saisi d’un pressentiment.

– Je ne sais si j’ai toutes les forces qu’il faudrait, dis-je, en regardant Alan ; mais le peu d’argent que nous avons doit nous mener très loin.

Alan se mordit la lèvre inférieure, et baissa les yeux.

– David, dit-il enfin, j’ai tout perdu : telle est la simple vérité.

– Mon argent aussi ?

– Votre argent aussi, dit Alan avec un soupir. Vous n’auriez pas dû me le donner. Je deviens fou quand je touche un jeu de cartes.

– Ta ta ta ! dit Cluny. Tout cela était pour rire ; ce serait trop absurde. Naturellement, vous allez ravoir votre argent, et même le double, si vous me le permettez. Que je le garde, moi ? que je puisse gêner en quelque chose des gentilshommes dans votre situation ? Ce serait là une chose singulière ! s’écria-t-il.

Et il se mit, en rougissant beaucoup, à extraire l’or de sa poche.

Alan ne dit rien, et continua de regarder à terre.

– Voulez-vous venir un instant avec moi jusqu’à la porte, monsieur ? dis-je à Cluny.

Il me répondit qu’il en serait fort aise, et me suivit à l’instant, mais d’un air confus et la tête basse.

– Et maintenant, monsieur, dis-je, j’ai d’abord à vous remercier de votre générosité.

– Absurdité des absurdités ! s’écria Cluny. Où voyez-vous de la