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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/121

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plus est, comme vous avez sans doute des fils, je vous dirai qu’il s’agit d’une promesse faite à mon père.

– Suffit, monsieur, suffit, dit Cluny.

Et il me désigna un lit de bruyère dans un coin de la Cage. Néanmoins, il restait assez mécontent, et me regardait de travers en grommelant. Et il faut bien avouer que tant mes scrupules que la façon de les exprimer fleuraient le covenantaire et se trouvaient fort déplacés chez de farouches jacobites des Highlands.

Une singulière pesanteur, due à l’eau-de-vie, ou peut-être à la venaison, m’accablait ; et à peine couché, je fus pris d’une sorte de fièvre, qui ne me quitta plus de toute la durée de notre séjour dans la Cage. Tantôt j’étais bien éveillé et comprenais ce qui se passait ; tantôt le bruit des voix, ou celui des ronflements, faisait pour moi la rumeur d’un torrent lointain ; et les plaids accrochés au mur se contractaient et se développaient tour à tour comme les ombres que le foyer projetait sur le plafond. J’ai dû aussi parler ou m’écrier, car je me rappelle mon étonnement aux réponses que je recevais de temps à autre ; toutefois, je n’étais pas hanté par un cauchemar déterminé, mais par une terreur confuse, profonde et horrifiante, – terreur que m’inspiraient et le lieu où je me trouvais, et le lit où j’étais couché, et les plaids pendus aux murs, et les voix, et le feu, et moi-même.

Le client-barbier, qui était aussi docteur, fut mandé pour me donner ses soins ; mais comme il parlait gaélique, je n’entendis rien à son diagnostic, et j’étais trop accablé pour en demander la traduction. Je savais seulement que j’étais malade, et cela me suffisait.

Je fis peu attention à ce qui m’entourait, tant que je restai dans ce triste état. Mais Alan et Cluny passaient presque tout leur temps à jouer aux cartes, et je suis sûr qu’Alan avait dû gagner, au début ; car il me souvient de m’être relevé sur mon séant et de les avoir vus absorbés dans leur jeu, avec une pile étincelante d’au moins soixante ou cent guinées sur la table. Cela faisait un effet étrange, de voir toute cette richesse dans un nid accroché à la falaise et entrelacé à des arbres vivants. Et même alors, il me sembla qu’Alan jouait bien gros jeu, lui, qui ne possédait au monde qu’une bourse verte et l’affaire de cinq livres.

Le deuxième jour, la chance tourna. Vers midi, je fus comme à l’ordinaire éveillé pour le dîner, et comme à l’ordinaire refusai de manger, et l’on me fit boire une potion où le barbier avait mis infuser des plantes amères. Le soleil, pénétrant par la porte ouverte de la Cage, m’éblouissait douloureusement. Cluny, assis devant la table, mordillait le parquet de cartes. Alan, penché sur mon lit, approcha de mes yeux son visage ; et le trouble de la fièvre me le fit voir de la plus monstrueuse grosseur.

Il me demanda de lui prêter mon argent.

– Pour quoi faire ? dis-je.

– Oh ! un simple prêt, répondit-il.

– Mais pourquoi ? répétai-je. Je ne comprends pas.

– Fi ! David ! voudriez-vous me refuser un prêt ? Certes, je l’aurais