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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/125

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Je ne sortais pas de ces deux considérations ; et je n’aurais pu ouvrir la bouche sur l’une ou l’autre sans faire preuve de la plus noire ingratitude. Je fis donc ce qui était presque aussi mal : je ne disais mot, et ne jetais même pas un regard sur mon compagnon, si ce n’est du coin de l’œil.

À la fin, comme nous avions traversé le loch Errocht et cheminions en terrain uni, où la marche était aisée, il ne put supporter plus longtemps mon silence, et se rapprocha de moi.

– David, dit-il, cette façon de prendre un petit incident n’est guère amicale. J’ai à vous exprimer mes regrets, et voilà tout. Et maintenant, si vous avez quelque chose à dire, allez-y.

– Oh ! répliquai-je, je n’ai rien à dire.

Il parut déconcerté, ce qui m’enchanta bassement.

– Non ? reprit-il, d’une voix un tant soit peu tremblante, même quand j’avoue que j’ai eu tort ?

– Évidemment, vous avez eu tort, dis-je, d’un ton glacé ; et vous reconnaîtrez que je ne vous ai fait aucun reproche.

– Aucun, dit-il ; mais vous savez fort bien, que vous avez fait pis. Faut-il nous séparer ? Vous l’avez déjà proposé une fois. Allez-vous le répéter une seconde ? Il y a suffisamment de montagnes et de bruyère d’ici aux deux mers, David ; et j’avoue que je n’ai pas grand désir de rester où l’on ne tient pas à m’avoir.

Cette phrase me perça comme un glaive, et me sembla mettre à nu ma déloyauté.

– Alan Breck ! m’écriai-je ; puis : – Me croyez-vous capable de vous tourner le dos dans votre urgente nécessité ? Vous n’oseriez pas me le dire en face. Toute ma conduite serait là pour vous démentir. Il est vrai que je me suis endormi dans le marais ; mais c’était de fatigue ; et il est mal à vous de me le reprocher…

– C’est ce que je n’ai pas fait, interrompit Alan.

– Mais à part cela, continuai-je, qu’ai-je fait pour que vous m’égaliez à un chien par une telle supposition ? Je n’ai jamais manqué à un ami, jusqu’à cette heure, et il n’y a pas de raison pour que je commence par vous. Il y a entre nous des choses que je ne puis oublier, même si vous le pouviez.

– Je ne vous dirai qu’un mot, David, dit Alan, avec beaucoup de calme, c’est que je vous ai longtemps dû la vie, et qu’à présent je vous dois de l’argent. Vous devriez tâcher de me rendre ce fardeau léger.

Cette parole était bien faite pour me toucher, et elle le fit d’une certaine manière, mais qui n’était pas la bonne. Je sentis que ma conduite était mauvaise ; et je devins non seulement irrité contre lui, mais irrité contre moi par-dessus le marché. J’en fus d’autant plus cruel.

– Vous voulez que je parle, dis-je. Eh bien donc, je parlerai. Vous reconnaissez vous-même que vous m’avez rendu un mauvais service ; j’ai maintenant un affront à avaler ; je ne vous l’avais jamais reproché, je ne vous en avais jamais rien dit ; c’est vous qui commencez. Et voilà que vous me blâmez de n’être pas disposé à rire et à chanter, comme