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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/126

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si je devais être heureux de cet affront. Ne faudra-t-il pas tout à l’heure que je vous en remercie à genoux ! Vous devriez songer un peu plus à autrui, Alan Breck. Si vous songiez davantage à autrui, vous parleriez sans doute moins de vous ; et quand un ami qui vous chérit a laissé, sans un mot, passer une offense, vous devriez bien n’y plus faire allusion, au lieu de la transformer en une arme pour lui briser le cœur. De votre propre aveu, c’est vous qui étiez à blâmer ; ce n’est donc pas à vous de me chercher noise.

– Cela va bien, dit Alan ; plus un mot.

Et, retombés dans notre silence antérieur, nous arrivâmes au bout de notre étape, mangeâmes et nous couchâmes, sans avoir prononcé une parole.

Le lendemain à l’aube, le client de Cluny nous passa de l’autre côté du loch Rannoch, et nous donna son avis sur le chemin qu’il croyait le meilleur pour nous : – gagner aussitôt les hautes régions des montagnes ; faire un crochet par les sources des glens[32] Lyon, Lochay et Dorchart, et descendre vers les Basses-Terres par Kippen et la rive méridionale du Forth[33]. Alan n’aimait guère cet itinéraire qui traversait le pays de ses ennemis jurés, les Campbells Glenorchy. Il objecta qu’en appuyant vers l’est, nous serions tout de suite chez les Athole Stewarts, une race de ses nom et parenté, quoique soumise à un autre chef, et que nous arriverions ainsi par un chemin beaucoup plus direct et facile au but de notre course. Mais le client, qui était aussi le principal éclaireur de Cluny, trouva réponse à tout, dénombrant les corps de troupes cantonnées dans chaque district, et alléguant, pour finir (à ce que je crus comprendre) que nous ne serions nulle part aussi peu inquiétés que dans un pays de Campbells.

Alan céda enfin, quoique à regret.

– C’est l’une des contrées les plus arides de l’Écosse, dit-il. Il n’y a rien par là que je sache, si ce n’est de la bruyère, des corbeaux et des Campbells. Mais je vois que vous êtes un homme de sens ; qu’il en soit fait selon votre désir !

Nous suivîmes donc cet itinéraire ; et durant la plus grande partie des trois nuits, nous voyageâmes parmi des cimes de montagnes et des sources de rivières torrentueuses, ensevelis fréquemment dans le brouillard, battus par un vent et une pluie presque continuels, et pas un seul instant réjouis par un rayon de soleil.

Le jour, nous nous couchions pour dormir dans la bruyère ruisselante ; la nuit, nous escaladions sans trêve des pentes à nous casser le cou, au long d’affreux précipices. Nous nous trompions quelquefois de chemin ; nous étions quelquefois enveloppés dans un brouillard si dense qu’il nous fallait attendre qu’il s’éclaircît. Du feu, on n’y pouvait songer. Notre seule nourriture était le drammach et un morceau de