Aller au contenu

Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/129

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vous croirez recevoir un soufflet au visage. Ah ! quelle revanche, alors ! ah ! comme vous regretterez votre ingratitude et votre cruauté ! »

Cependant, mon état empirait toujours. Une fois déjà, j’étais tombé : mes jambes s’étaient dérobées subitement sous moi, et la chose avait frappé Alan sur le coup ; mais je fus si vite relevé, et me remis en marche d’un air si naturel, qu’il eut bientôt oublié l’incident. Des bouffées de chaleur me parcouraient, avec de soudains frissons. Mon point de côté devenait intolérable. Enfin, je sentis que je ne pouvais me traîner plus loin ; et là-dessus, le souhait me vint tout à coup d’en finir avec Alan, de donner libre cours à ma colère, et de terminer ma vie d’une façon plus rapide. Il venait justement de m’appeler « whig ». Je fis halte.

– Monsieur Stewart, dis-je, d’une voix qui vibrait comme une corde de violon, vous êtes plus âgé que moi, et devriez savoir vous tenir. Croyez-vous qu’il soit bien sage ou spirituel de me jeter au nez mes opinions politiques ? Je m’imaginais que, lorsqu’ils différaient sur ce point, c’était le propre des gentlemen de différer avec politesse ; et par ailleurs je puis vous le dire, je suis capable de trouver une ironie meilleure que certaines des vôtres.

Alan s’était arrêté me faisant face, le chapeau de côté, les mains dans les poches de sa culotte, la tête un peu sur l’épaule. Il m’écouta, avec un sourire mauvais que je distinguais au clair d’étoiles ; et quand j’eus fini de parler, il se mit à siffler un air jacobite. C’était l’air composé en dérision de la défaite du général Cope à Preston-pans :

Hohé, Johnnie Cope, marchez-vous toujours ?

Est-ce que vos tambours sont toujours battants ?

Et il me revint à l’esprit que, le jour de cette bataille, Alan faisait partie de l’armée royale.

– Pourquoi choisissez-vous cet air, monsieur Stewart ? dis-je. Est-ce pour me faire souvenir que vous avez été battu des deux côtés.

L’air s’arrêta sur les lèvres d’Alan.

– David ! dit-il.

– Mais il est temps que ces manières cessent, continuai-je ; et je tiens à ce que vous parliez désormais civilement de mon roi et de mes bons amis les Campbells.

– Je suis un Stewart… reprit Alan.

– Oh ! dis-je, je sais que vous portez un nom royal. Mais il faut vous rappeler que, depuis que j’ai été dans les Highlands, j’ai vu pas mal de gens dans le même cas ; et le moins que je puisse dire de ces gens-là, c’est qu’ils ne feraient pas mal de se débarbouiller.

– Savez-vous bien que vous m’insultez ? dit Alan d’une voix très grave.

– Je le regrette, dis-je, car je n’ai pas fini, et si l’exorde de mon sermon vous déplaît, je crains fort que sa péroraison ne vous plaise guère non plus. Vous avez été poursuivi sur le champ de bataille par les hommes de mon parti ; le divertissement n’est pas du meilleur goût, de venir