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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/130

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braver un garçon de mon âge. Whigs et Campbells, les uns et les autres vous ont battu ; vous avez fui comme un lièvre devant eux. Il vous convient de ne parler d’eux qu’avec respect.

Alan demeurait parfaitement immobile, et les pans de son surtout claquaient au vent derrière lui.

– C’est un malheur, dit-il. Voilà des choses qu’on ne peut laisser passer.

– Je ne vous demande rien de tel. Je suis prêt tout comme vous.

– Prêt ?

– Prêt, répétai-je. Je ne suis ni vantard ni fanfaron comme certains que je pourrais nommer. Allons !

Et, tirant mon épée, je tombai en garde ainsi qu’Alan lui-même me l’avait enseigné.

– David ! s’écria-t-il. Êtes-vous fou ? Je ne puis tirer l’épée contre vous, David. Ce serait un véritable meurtre.

– Vous l’aviez prévu quand vous m’insultiez, dis-je.

– C’est vrai ! s’écria Alan.

Et il resta une minute, la main à son menton, qu’il tourmentait, comme examinant un problème insoluble.

– C’est la pure vérité, dit-il, en tirant son épée.

Mais je n’avais pas encore engagé ma lame, qu’il rejeta la sienne loin de lui et se laissa tomber à terre.

– Non, non, répétait-il, non, non… je ne peux pas, je ne peux pas.

À cette vue, le restant de ma colère s’échappa de moi ; et je ne fus plus que malade, triste, hagard, et m’étonnant de moi-même. J’aurais donné tout au monde pour reprendre ce que j’avais dit ; mais, une parole une fois lâchée, qui peut la rattraper ? Je me rappelai toute la bonté et le courage passés d’Alan, comment il m’avait aidé, ranimé et soutenu durant nos mauvais jours ; et puis mes insultes me revinrent, et je vis que j’avais perdu pour jamais cet ami si dévoué. En même temps, le malaise qui pesait sur moi me parut redoubler, et ma douleur au côté devint aiguë comme un glaive. Je pensai m’évanouir sur place.

Alors, il me vint une idée. Nulle excuse ne pouvait effacer ce que j’avais dit ; inutile d’y songer, aucune ne couvrirait l’offense ; mais là où une excuse était vaine, un simple cri d’appel au secours était capable de me ramener Alan. J’abdiquai mon amour-propre :

– Alan ! dis-je ; si vous ne me secourez pas, je vais mourir ici même. Il se dressa d’un bond, et me regarda.

– C’est la vérité, repris-je. J’en suis à ce point. Oh ! être sous un toit… j’y mourrais plus content.

Je n’avais pas à jouer la comédie ; que je le voulusse ou non, je parlais d’une voix larmoyante capable d’attendrir un cœur de pierre.

– Pouvez-vous marcher ? demanda Alan.

– Non, dis-je, pas tout seul. Cette dernière heure, mes jambes faiblissaient sous moi ; j’ai au côté un point pareil à un fer rouge ; je respire à peine. Si je meurs, me pardonnerez-vous, Alan ? Au fond du cœur, je vous aimais toujours… même quand j’étais le plus en colère.