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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/143

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– Je vois que vous avez la langue un peu longue, dit-elle enfin à Alan.

– Peut-être, dit Alan, mais, voyez-vous, je sais à qui je m’adresse.

– Ce n’est pas moi qui vous trahirai, dit-elle, si c’est cela que vous voulez dire.

– Non. Cela ne vous ressemblerait pas. Mais je vais vous dire ce que vous pourriez faire : vous pourriez nous aider.

– Je ne saurais, dit-elle, secouant la tête. Non, je ne saurais.

– Même si vous en aviez la possibilité ?

Elle ne répondit rien.

– Écoutez, ma fille, dit Alan, il y a des barques dans le royaume de Fife, car j’en ai vu deux (au moins) sur le rivage, en arrivant par ce bout de la ville. Or, si nous pouvions avoir une barque pour passer en Lothian sous le couvert de la nuit, et un individu discret, de la bonne sorte, pour ramener cette barque et se taire, il y aurait deux âmes sauvées, – la mienne très vraisemblablement, – la sienne sans le moindre conteste. Faute de cette barque, il ne nous reste que trois shillings au monde ; et où aller, et que faire, et quelle autre perspective nous reste-t-il que la corde du gibet, – je vous en donne ma parole, je l’ignore ! Nous laisserez-vous dans le besoin, bonne fille ? Irez-vous vous coucher dans votre lit tiède et penser à nous, quand le vent hurlera dans la cheminée et que la pluie fouettera le toit ? Irez-vous manger votre repas devant un bon feu et songer à ce mien pauvre gars malade, en train de se mordre les poings de froid et de faim, sur la lande nue ? Malade ou bien portant, il lui faut marcher ; avec la mort qui le tient à la gorge, il lui faut trimarder sous la pluie au long des routes ; et lorsque, couché sur les froides pierres, il rendra le dernier soupir, il n’aura d’amis auprès de lui que moi et Dieu.

À cet appel fait à sa pitié, je vis la fille bouleversée, tentée de nous secourir, et craignant pourtant de n’aider que des malfaiteurs. Je me décidai donc à intervenir et à vaincre ses scrupules en lui avouant une part de la vérité.

– Connaissez-vous, dis-je, M. Rankeillor, du Ferry ?

– Rankeillor le notaire ? dit-elle. Je crois bien.

– Eh bien, dis-je, c’est chez lui que je vais ; ainsi, jugez si je suis un malfaiteur ; et je vous dirai de plus que, malgré l’atroce méprise qui met ma vie en danger, le roi George n’a pas de meilleur ami que moi dans l’Écosse entière.

Son visage s’éclaircit, tandis que celui d’Alan s’assombrissait.

– En voilà plus que je n’en demandais, dit-elle. M. Rankeillor est un homme connu.

Et elle nous pressa de terminer notre repas, puis de sortir au plus vite du hameau pour aller nous cacher dans le petit bois du rivage.

– Et fiez-vous à moi, ajouta-t-elle. Je trouverai bien moyen de vous faire passer l’eau.

Sans rien attendre de plus, nous lui donnâmes une poignée de main, torchâmes l’assiette, et repartîmes dans la direction de Limekilns, jusqu’au bois. Il était constitué par une vingtaine de sureaux,