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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/163

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discret ; et, en toutes ces matières, puisse le Seigneur vous guider, monsieur David !

Là-dessus, il prit congé de nous et se mit en route avec Torrance pour le Ferry, cependant qu’Alan et moi nous dirigions vers la ville d’Édimbourg. Tout en marchant au long du sentier, et encore quand nous fûmes arrivés à hauteur des piliers et de la loge inachevés, nous regardâmes une dernière fois le château de mes pères. Il se dressait dans sa nudité vaste, sans une fumée, tel un lieu inhabité ; mais à l’une des fenêtres du haut, la mèche d’un bonnet de nuit frétillait de haut en bas et d’avant en arrière, tel un lapin au bord de son terrier. Je n’avais reçu guère de bienvenue lors de mon arrivée, et moins encore d’amabilités durant mon séjour ; mais mon départ fut suivi longuement des yeux.

Nous cheminions, Alan et moi, avec lenteur ; nous avions peu de goût pour causer, voire pour parler. La même idée nous obsédait l’un et l’autre, savoir : que l’heure de notre séparation était proche ; et le souvenir de tous les jours passés m’accablait de mélancolie. Nous parlâmes néanmoins de ce qu’il convenait de faire ; et il fut résolu qu’Alan resterait dans le comté, tantôt par ci, tantôt par là, mais venant une fois par jour à un endroit désigné où je serais à même de communiquer avec lui, soit en personne, soit par messager. Entre-temps, j’irais trouver ce notaire Appin Stewart, homme par conséquent digne de toute confiance, à qui je m’en remettrais pour nous dénicher un bateau et ménager à Alan un embarquement sûr. Le tout ne fut pas plus tôt réglé que la parole sembla nous faire défaut ; et mes tentatives de badinage avec Alan sur son nom de M. Thomson, et les siennes avec moi, sur mes nouveaux habits et mon domaine, laissaient trop voir que nous étions plus près des larmes que du rire.

Nous arrivâmes sur la colline de Corstorphine, et quand nous fûmes près du lieu dit le Repos-bien-gagné, d’où l’on découvre les étangs de Corstorphine et au loin la ville avec son château sur la hauteur, nous fîmes halte, car nous comprîmes tacitement que c’était là où nos chemins divergeaient. Il me répéta encore une fois ce qui avait été convenu entre nous : l’adresse du notaire, l’heure à laquelle je pourrais trouver Alan chaque jour, et la façon dont devrait s’annoncer quiconque s’en viendrait vers lui. Je lui donnai ensuite tout l’argent que j’avais (deux ou trois guinées reçues de Rankeillor) afin qu’il ne mourût pas de faim dans l’intervalle, et nous restâmes un moment à regarder Édimbourg en silence.

– Allons, au revoir, dit Alan, qui me tendit sa main gauche.

– Au revoir, dis-je.

Et je donnai à sa main une légère pression, puis redescendis la côte.

Aucun de nous ne regarda l’autre en face, et aussi longtemps qu’il resta en vue je ne jetai pas un seul regard sur l’ami que je laissais derrière moi. Mais en me dirigeant vers la ville, je me sentis infiniment perdu et esseulé et dus résister à la tentation de m’asseoir au bord du fossé et de pleurer comme un enfant.