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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/40

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– Assis ! hurla le capitaine. Brute de porc ! ne savez-vous donc pas ce que vous avez fait ? Vous avez assassiné le garçon.

M. Shuan sembla comprendre, car il se rassit, et porta sa main à son front.

– Mais, dit-il, il m’avait apporté un gobelet sale !

À ces mots, le capitaine, M. Riach et moi, nous entre-regardâmes une seconde d’un air effaré ; puis Hoseason marcha sur son premier officier, l’empoigna par l’épaule, le poussa sur sa couchette, et lui ordonna de se déshabiller et de dormir, comme on le ferait avec un enfant méchant. Le meurtrier se rebiffa un peu, mais il se mit en devoir d’obéir, et retira ses bottes.

– Ah ! s’écria M. Riach, d’une voix lugubre, vous auriez dû l’empêcher depuis longtemps. C’est trop tard, à présent !

– Monsieur Riach, dit le capitaine, ce qui s’est passé cette nuit ne doit jamais être connu à Dysart. Le mousse a passé par-dessus bord, monsieur ; voilà tout ; et je donnerais cinq livres de ma poche pour que cela fût vrai ! (Il se retourna vers la table.) Pourquoi diantre avez-vous jeté cette bonne bouteille ? ajouta-t-il. C’est absurde. Allons, David, donnez-m’en une autre. Elles sont dans l’armoire du bas. (Et il me tendit une clef.) Vous avez besoin aussi d’en boire un verre, monsieur, dit-il à Riach. C’était un bien vilain spectacle.

Tous deux se mirent donc à boire ; et, cependant, le meurtrier, qui s’était couché, se releva sur un coude pour nous examiner, eux et moi, l’un après l’autre.

Dès le lendemain, j’étais assez bien au courant de mes nouvelles fonctions. Elles consistaient à servir les repas, que le capitaine prenait à des heures régulières, s’attablant avec l’officier qui n’était pas de service ; tout le long du jour, il me fallait courir porter à boire à l’un ou à l’autre de mes trois maîtres ; et la nuit, je dormais dans une couverture à même le plancher, au fond de la dunette, et juste dans le courant d’air des deux portes. Ce genre de couche était fort froid et dur ; on ne m’y laissait même pas dormir tranquille ; car l’un ou l’autre s’en venait du pont chercher à boire, et, lors des changements de quart, ils s’asseyaient à deux et quelquefois trois ensemble pour faire du punch. Comment ils ne tombaient pas malades, et moi aussi, je me le demande.

Par ailleurs, du reste, mon service était facile. Pas de nappe à mettre ; les repas consistaient en porridge d’avoine ou en salaisons, à part deux fois la semaine où on faisait le pudding. J’étais assez maladroit ; et (faute d’avoir le pied marin) je tombais quelquefois avec ce que j’apportais ; mais M. Riach et le capitaine se montraient d’une patience remarquable. Ils s’efforçaient, croyais-je, d’apaiser leur conscience, et sans doute n’auraient-ils pas été aussi bons pour moi, s’ils n’avaient été pires avec Ransome.

Quant à M. Shuan, la boisson, le souvenir de son crime, ou les deux, avaient dû lui détraquer la cervelle. Il ne me paraissait plus avoir toute sa raison. Il ne s’habituait pas à ma présence, me regardait sans cesse