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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/68

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très dure ; en fait, non seulement Earraid tout entier, mais la partie avoisinante de Mull (appelée le Ross) n’est qu’un chaos de blocs de granit entremêlés de bruyère. Au début, la crique allait se rétrécissant comme je l’avais prévu ; mais bientôt, j’eus la surprise de la voir s’élargir de nouveau. Je me grattai la tête sans découvrir la vérité ; mais à la fin, en arrivant sur une élévation, je compris soudain que j’avais été jeté sur une petite île déserte, et que la mer salée m’entourait.

Au lieu du soleil qui, en se levant, m’aurait séché, ce fut la pluie qui tomba, mêlée à un brouillard épais ; et ma situation devint lamentable.

J’étais sous la pluie à frissonner, me demandant ce que j’allais devenir, lorsque je m’avisai que la crique était peut-être guéable. Je retournai au point le plus étroit et m’avançai dans l’eau. Mais à moins de trois yards du bord, je m’enfonçai brusquement jusque par-dessus les oreilles ; et si je n’y restai pas, je l’attribue à la providence plutôt qu’à mon adresse. Je n’en fus pas plus mouillé (c’était impossible), mais j’eus encore plus froid, et la perte de ce nouvel espoir me rendit plus malheureux.

Et alors, tout d’un coup, je me rappelai la vergue. Elle, qui m’avait transporté parmi le jusant, me ferait certainement passer en sûreté cette petite crique paisible. J’entrepris donc avec audace de traverser l’île, pour chercher la vergue et la rapporter. Ce fut un voyage extrêmement pénible, et si l’espoir ne m’avait pas soutenu, je me serais jeté à terre sans plus rien tenter. La soif, causée par l’eau salée, ou par un début de fièvre, me tourmentait, et je dus faire halte pour boire un peu de l’eau bourbeuse accumulée par la pluie dans une crevasse.

J’atteignis enfin la baie, plus mort que vif ; et au premier coup d’œil je compris que la vergue s’était éloignée vers le large. Je m’avançai pour la troisième fois, dans la mer. Le sable était lisse et ferme, et s’abaissait graduellement ; je marchai dans l’eau jusqu’au moment où elle atteignit mon cou et où les vaguelettes me mouillèrent le visage. Mais à cette profondeur mes pieds commençaient à perdre prise, et je n’osai m’aventurer plus loin. Quant à la vergue, je la voyais se balancer tout tranquillement à quelque vingt pieds devant moi.

Je m’étais bien comporté jusque-là ; mais à cette suprême déception je regagnai le rivage, et me jetai sur la grève en pleurant.

Le temps que je passai sur l’île est pour moi un si affreux souvenir qu’il m’est impossible d’y insister. J’ai lu des histoires de naufragés, mais ils ont toujours les poches pleines d’outils, ou bien une caisse de provisions est jetée à terre avec eux, comme par un fait exprès. Mon cas était tout différent. Je n’avais rien dans les poches que de l’argent et le bouton d’Alan ; et, élevé dans l’intérieur du pays, j’étais aussi dépourvu de savoir que de ressources.

Je n’ignorais pas, toutefois, que les coquillages sont considérés comme bons à manger ; et sur les rochers de l’îlot, je trouvai une grande quantité de patelles, que j’eus d’abord beaucoup de peine à arracher de leurs places, ignorant qu’il était nécessaire de faire vite. Il y avait encore