Aller au contenu

Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sérénité descendit en moi ; je remarquai que la nuit serait belle, que mes vêtements étaient presque secs ; bref, que j’étais en meilleure posture que jamais, depuis mon atterrissage sur l’île ; et je finis par m’endormir, avec une pensée de gratitude.

Le lendemain (mon quatrième jour de cette affreuse existence) je sentis que mes forces physiques étaient presque épuisées. Mais le soleil brillait, l’air était doux, et ce que je réussis à manger des coquillages me profita et ranima mon courage.

J’étais à peine de retour sur mon roc (c’était ma première occupation, sitôt après avoir mangé) que j’aperçus un bateau qui descendait le Sound, le cap, me semblait-il, dans ma direction.

Je me mis aussitôt à espérer et à craindre démesurément ; car je me figurais que ces hommes s’étaient repentis de leur cruauté et revenaient à mon secours. Mais une autre déception comme celle de la veille était plus que je n’en pouvais supporter. Je tournai donc le dos à la mer, et ne la regardai pas avant d’avoir compté plusieurs centaines. Le bateau se dirigeait toujours vers l’île. Après cela, je comptai jusqu’à mille, le plus lentement possible, mon cœur battant à rompre. Et alors je n’eus plus de doute : il s’en venait droit sur Earraid !

Je ne pus me contenir davantage, et courus au bord de la mer, où je m’avançai, d’un roc à l’autre, tant que je pus aller. C’est merveille si je ne me noyai pas ; car au moment où je fus forcé de m’arrêter enfin, mes jambes flageolaient, et ma bouche était si sèche qu’il me fallait l’humecter avec de l’eau de mer, avant d’être capable de héler.

Cependant, la barque approchait ; je reconnus alors que c’était la même barque et les mêmes hommes que la veille. Je le voyais à leurs cheveux, que l’un avait d’un jaune pâle et l’autre bruns. Mais cette fois il y avait avec eux un troisième personnage qui semblait être d’une condition supérieure.

Dès qu’ils furent à portée d’appel, ils amenèrent la voile et restèrent sur place. En dépit de mes supplications, ils n’approchèrent pas davantage, et, ce qui m’effraya le plus, le nouvel homme poussait des hi-hi de rire tout en parlant et me regardant.

Puis il se leva dans la barque et m’adressa un long discours, débité avec volubilité et de grands gestes de la main. Je lui répondis que j’ignorais le gaélique. Cela parut l’irriter beaucoup, et je commençai à soupçonner qu’il s’était figuré parler anglais. En prêtant mieux attention, je saisis à plusieurs reprises le mot « quelconque » ; tout le reste était du gaélique, et je n’y entendais pas plus qu’à du grec ou de l’hébreu.

– Quelconque, dis-je, pour lui montrer que j’avais saisi un mot.

– Oui, oui… oui, oui, dit-il, en regardant les autres, comme pour leur dire : « Vous voyez bien que je parle anglais », et se remit dur comme fer à son gaélique.

Cette fois, je cueillis au passage un autre mot, « marée ». Alors, j’eus une lueur d’espérance. Je me rappelai qu’il désignait continuellement avec sa main la terre ferme du Ross.